David Durand est le directeur du design de Dacia. Après l’avoir rencontré autour de la Sandero en 2020, du Duster en 2023 et du Bigster en 2024, il se confie autour du nouveau concept-car de la marque roumaine, le Dacia Hipster.
Le Nouvel Automobiliste : Dacia Hipster, c’est un nom pour dire que Dacia est à la mode ?
David Durand : Le nom, c’était un petit pied de nez, un clin d’œil. On a pris hipster car c’est une tendance à contre-courant, qui a une indépendance de pensée, d’agir, qui ne fait pas comme tout le monde. Ça nous a tous fait rire de penser que, maintenant, même une grand-mère à la campagne pourrait être hipster avec sa petite voiture, qui lui rend bien service pour se déplacer.

LNA : Ce nom est arrivé tôt dans le projet ? Voire, en a-t-il guidé le concept ?
David Durand : Oui. On fait souvent des recherches de noms parce que ça prend beaucoup de temps de trouver, beaucoup de noms sont déjà déposés. Aussi, lorsqu’on choisit un nom trop proche d’un nom existant, cela peut faire sourire parce qu’il n’y a pas de rapport, mais d’autres marques peuvent nous bloquer et dire ‘ça ressemble trop à ce qu’on fait chez nous’, et nous sommes alors obligés de le supprimer pour des raisons juridiques.
LNA : D’où vient le projet ? Du design ? Du marketing ? Du commerce ? De l’ingénierie ?
David Durand : Bonne question, l’avantage de la petite équipe Dacia, qui est le petit village gaulois dans le grand Groupe Renault, c’est qu’on a une équipe décisionnelle très petite. Donc souvent, on se partage nos idées et là, nous étions tous intéressés, conscients de ce creux qui se crée entre les prix des voitures qui grimpent et les salaires qui restent stables. On s’est dit que si Dacia devait être à un endroit, c’était bien là. Nous partagions cet avis avec mon collègue Patrice Lévy-Bencheton (Directeur de la performance produit Dacia, NDLR), et en parallèle nos designers cherchent dans tous les sens. Romain (Gauvin, responsable du design avancé chez Dacia, NDLR) avait aussi ce sujet à cœur.
Le concept Hipster qu’on présente, c’est la dernière mouture, mais on a eu d’autres projets avant, sur le même sujet, qui avaient d’autres formes. Cela fait un petit moment qu’on travaille dessus, mais celui-ci cela fait un an qu’on a vraiment commencé à l’exécuter tel qu’on le voit aujourd’hui.

LNA : C’est donc déjà une longue histoire…
David Durand : Oui, l’histoire de la petite voiture abordable, qui s’adresse à tout le monde, mais qui ne sent pas la contrainte en restant sympa et attractive, c’est un endroit où on se doit d’être, on se doit d’avoir une proposition convaincante.
LNA : On peut forcément faire le rapprochement avec les kei cars japonaises. Qu’en a-t-elle ? Et que n’a-t-elle pas d’une kei car ?
David Durand : Ce qu’elle a d’une kei car en design, c’est pour commencer qu’elle s’affranchit des codes automobiles, qu’elle crée un peu ses propres codes. On voulait absolument éviter de faire une Ferrari réduite à 3 mètres comme certaines voitures sans permis nous font penser avec leurs jantes chromées, leurs lignes de ceinture agressive. On ne voulait absolument pas être dans ce domaine, et les kei cars nous ont poussé dans ce sens. C’est un segment qui a ses propres codes, qui est beaucoup plus dans le design produit, qui ne va pas chercher dans l’histoire automobile. Ça nous a beaucoup inspiré.
Ensuite, on a la chose commune avec le kei car qui est le maximum d’habitabilité pour le minimum d’empreinte au sol, puisque les keijidōsha sont nées de la problématique d’étroitesse des rues et de la difficulté à se garer dans les grosses agglomérations au Japon. Et donc forcément, on finit par cette forme cubique qui est la meilleure manière d’avoir la plus petite voiture à l’extérieur, et la plus grande à l’intérieur.

Nous sommes cependant assez différents des kei cars japonais car leurs tarifs peuvent, avec leurs spécificités d’aménagement à bord et d’options, de modularité, être très chers. Ce sont souvent la seule voiture du foyer, avec un niveau d’équipement très élevé, des sièges qui se replient dans le plancher, des systèmes assez sophistiqués et chers. Nous, on voulait plutôt aller vers l’essentiel, supprimer ce qui n’est pas nécessaire, pour avoir une masse minimum, car la taille de la batterie est corrélée à la taille de la voiture qu’on a à déplacer, et c’est aussi le tiers du prix d’une voiture électrique. C’était la seule manière de faire une voiture plus abordable que les offres électriques d’aujourd’hui.
LNA : Parlons du choix des harmonies de couleurs, des matériaux. Vous dites mettre en avant le Starkle, issu à 20 % de plastiques recyclé, mais l’allure d’ensemble fait très « métal » vu de loin…
David Durand : Encore une fois, pour des raisons de flexibilité de construction et de poids, on imaginait partir d’un châssis tubulaire et avoir des panneaux de carrosserie en plastique injecté, d’où l’idée de simplifier la voiture avec une seule couleur de carrosserie et jouer sur les éléments comme le nez à l’avant ou les détails latéraux de portière pour ajouter une touche de couleur. On peut aussi imaginer des stickers pour personnaliser la voiture. Mais dans l’idée, c’est plutôt une peau de plastique.





LNA : Vous avez conçu le modèle dans l’optique d’une industrialisation ou avec le moins de contraintes réalistes possible ?
David Durand : Non, clairement on a la volonté de mettre cette voiture dans la rue un jour, si on y arrive. L’équation est assez difficile à résoudre car on se retrouve entre plusieurs réglementations, du L7 Quadricycle lourd qui est très limitante en termes de poids (450 kg NDLR), et le M1 qui sont les premières voitures homologuées mais dans lesquelles l’électronique suppose un poids et prix bien plus élevés, donc pas si compétitif que ça.
C’est pourquoi nous sommes très intéressés par les dernières annonces de la Commission Européenne sur une réglementation de kei car européenne qui serait une très bonne solution de compromis entre performances, sécurité, et dimensions de cette future catégorie qui, je pense, manque dans le paysage européen. Il y a tant de personnes qui ont besoin d’une voiture dans la vie de tous les jours et qui n’en trouvent aucune suffisamment abordable ?
LNA : Faire ce Hipster haut-sur-pattes, ce n’est pas nuisible à l’aérodynamisme ?
David Durand : C’est un élément très important pour nous : on ne voulait pas faire de mini-voiture où on se sente victime de la circulation, face aux SUV autour de soi. Il fallait une hauteur d’œil à peu près similaire aux autres véhicules, avec la hauteur du Hx à 600 mm, pour anticiper, être un acteur et ne pas subir (le plancher batterie aide aussi à cela NDLR).
LNA : Faisons un voyage dans le temps : il y a 33 ans voyait le jour une voiture 3 portes avec banquette coulissante, à l’arrière plutôt qu’à l’avant, et qui convenait à tous les budgets et si possible aux ‘hipsters’ de l’époque… C’est une recette qui rappelle la première Twingo !
David Durand : Ce serait un compliment ! Mais pas du tout : l’objectif aujourd’hui est de réinventer le concept, avec les réglementations imposées aujourd’hui aux véhicules de type M1, où d’emblée on s’impose beaucoup d’airbags, d’adas, de lourdeur… Donc une architecture électronique très chère et des capteurs partout…

LNA : Certes mais la Twingo avait vu le jour après 20 ans de recherches internes d’une mini-Renault, le programme VBG, dont les fondements évoquent ce Dacia Hipster, testé sur des clients… D’ailleurs, le Hipster a-t-il été testé sur des clients ?
David Durand : Eh non, la presse est le premier test ! Voir les têtes, les commentaires, les avis de lecteurs, de followers, vos questions… On est très curieux de tous les retours qui vont nous dire si le concept est apprécié, s’il manque quelque chose, ce qui bloquerait en cas d’achat, ou les ‘j’adore mais est-ce qu’on peut pas encore simplifier davantage en supprimant ci ou ça’… C’est une manière de tester le marché, les gens, de voir s’il y a de l’intérêt, de provoquer nos politiques européens aussi en montrant que nous sommes prêts, mais qu’on ne nous propose pas encore de réglementation qui soit parfaitement adaptée à ce besoin.
LNA : N’avez-vous pas la frustration de ne pas le présenter sur un salon automobile sous les yeux du grand public ?
David Durand : On aura des salons automobiles où nous montrerons cette voiture, même si on ne participe plus à tous les salons [Bruxelles pourrait être ce salon, sans confirmation NDLR]. En organisant une présentation spécifique, on se crée un moment d’échanges privilégié aussi, alors que sur un salon il y a tant à voir qu’on n’a pas même la qualité d’échanges. Il faut que votre temps en vaille la peine, mais pour nous aussi c’est un effort pour avoir des retours et des discussions bien plus longs.
Merci David Durand pour cet échange.

Propos recueillis et photos : François Mortier et Guillaume Agez – Le Nouvel Automobiliste
