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Renault Espace : jusqu’où peut-on perpétuer un nom ?

Jusqu’où peut-on réutiliser un nom sans délégitimer le produit ? C’est une question qui se pose régulièrement pour de nombreuses marques. L’automobile n’y échappe pas. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la venue d’une nouvelle génération de Renault Espace nous donne l’occasion de nous poser la question. Et peut-être même d’y apporter la réponse, si ça se trouve !

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La jurisprudence Maverick

L’Espace de sixième génération change complètement de formule, devient une sorte de « Renault Grand Austral » mais reconduit un nom bien connu. Ca n’est pas la première fois qu’un constructeur recycle une appellation sur un modèle qui change radicalement d’un précédent ayant porté le même nom. Et je vous épargne les changements de marque, à l’image de la Dodge Hornet, reconduisant une appellation héritée lors du rachat d’AMC en 1987… elle-même héritée de Hudson, une des sociétés ayant donné naissance à AMC. Trois modèles radicalement différents, trois marques et trois époques. Inutile de dire qu’en 2023, l’impact de l’AMC Hornet de 1970 ou de la Hudson Hornet de 1955 n’a aucune résonnance auprès du futur client Dodge.

Mais au sein d’une même marque, on trouve aussi du recyclage de nom sur des voiture sans aucun rapport. La Ford Maverick des années 70 était une compact fastback américaine, destinée à croiser le fer avec les petite japonaises. A la fin des années 80, en Australie, c’était un Nissan Patrol rebadgé. Durant les années 90, c’était un clone de la Nissan Terrano II, destinée au marché européen, tandis que le quatrième opus était l’appellation du Ford Escape en Europe et en Chine au début des années 2000. Tout ça pour devenir un pick-up destiné au marché américain lors de la cinquième utilisation du nom ! Et je vous passe les 4 générations de Seat Toledo sans trop de rapport les unes avec les autres, les renaissances de l’appellation Rapid chez Škoda ou la Mitsubishi Space Star devenue une citadine économique après avoir été un monospace compact ! Encore plus plus près de nous, le Ford Explorer européen n’a plus rien à voir avec son homonyme américain.

Quant à Renault, je ne vous ferai pas l’offense de vous rappeler que le constructeur semble nous faire comprendre avec insistance que les appellation Renault 5 et Renault 4 devraient reprendre du service, avec la future citadine électrique (5) et le futur SUV qui en sera dérivé (4). Mais attendez-voir… A la base, la R4 était plus prolo que la R5 ! Renault aurait-il oublié ce détail de l’Histoire ? Nous verrons bien et d’ici-là et contre toute attente, c’est Espace, promis à la mort avec la disparition il y a quelques semaines de la cinquième génération, qui renaît pour une sixième itération.

Le vrai luxe était l’Espace : l’est-il toujours ?

Il est évident qu’un concept n’est pas éternellement pertinent sur le marché : changement démographiques ou réglementaires, bouleversements économiques, et effets de modes sont autant de facteurs affectant les appétences des clients pour tel ou tel type de voiture. Combien de cabriolets survivent aujourd’hui sur le marché européen ? Ils se comptent sur les doigts d’une main de lépreux, alors qu’il y a 20 ans, on en dénombrait une bonne vingtaine au sein des constructeurs généralistes ou premium sans même s’intéresser à des marques de luxe ou de prestige. C’est cyclique. Les cabriolets ont connu des hauts et des bas. Voire que des bas sur certaines plaques géographiques. Voici pour l’un exemple et cela nous mène aux monospaces.

Alors qu’elle relevait plutôt de la rivale du S-Max que du rival du Galaxy, pour reprendre une allégorie fordiste, probablement la seule qui tienne la route pour évoquer l’évolution de l’Espace, la cinquième génération du monospace au Losange conservait plusieurs fondamentaux de la lignée : un volume de monocorps, un pare-brise panoramique en 3 partie, des rangements à foison, un immense toit ouvrant électrique, ainsi qu’une modularité soignée bien que très différente de celle des précédents Espace. Bref, bien que mâtinée de pseudo-codes de SUV, bien que devenue plus statutaire et moins habitable, l’Espace V restait un Espace : un monospace, héritier des codes initiés par Matra, et tentant, tant bien que mal de s’adapter à un monde où les SUV phagocytent tout sur leur passage.

On n’a jamais été aussi bien sur Terre que dans le 5008 ?

Les raisons du déclin de l’Espace ? La quatrième génération a été victime d’un segment en perte de vitesse, au profit des grands SUV, on le sait. La cinquième génération, tentant de faire le trait d’union entre monospace et SUV n’a pas su sauver la mise. En raison de son concept ? Ca serait trop réducteur : les soucis de fiabilité des trois premiers millésimes ont énormément fait pour sa disgrâce, son absence d’offre électrifiée n’a pas aidé les entreprises à opter pour l’Espace. En observant le marché, il semble évident que Renault a besoin d’un SUV 7 places hybride. Imaginez un Renault Austral allongé pour aller ferrailler avec le Peugeot 5008 et on se fait une idée précise de ce qu’il faut à Renault dans l’immédiat pour combler les clients en mal de grande voiture à 7 places. Tiens donc, ne serait-ce pas le nouveau venu ?

Avant d’établir si le véhicule est légitime pour arborer l’appellation Espace, il est nécessaire de définir ce qu’est un Espace. S’agissant d’un produit, il est évident que la définition sera moins cartésienne que s’il s’agissait de quelque chose d’aussi incontestable que ce que la nature a créé. Je suis capable de vous dire ce qu’est une femme de manière irréfutable [une femelle de l’espèce humaine, si jamais votre QI est négatif et que vous ne le saviez pas déjà], mais un Renault Espace, ça devient forcément plus délicat… à définir. En effet, le bougre a déjà dépassé le cinquième opus, a même changé de géniteur en route, de mode de fabrication, d’architecture mécanique et même de positionnement lors de ses évolutions !

Eh oui, les trois premiers Espace étaient produits par Matra et disposaient d’une carrosserie en composite… et encore, le capot du III était en acier et une partie de sa fabrication a eu lieu à Dieppe chez Alpine. L’Espace IV était un pur produit Renault, en tôle, fabriqué à Sandouville… tandis que le cinquième l’était à Douai. L’Espace existe en 4 roues motrices ? Plus depuis sa troisième génération. Encore un point commun de moins. L’Espace peut recevoir un train arrière pneumatique ? Raté, seuls les II et III y ont eu droit en option. Un Espace peut disposer de sièges pivotants pour se transformer en salon ? Oups, encore un truc qui a disparu avant la fin de vie du III. Un Espace dispose de sièges arrière individuels de même taille ? Le cinquième répond par deux -grands- strapontins au rang 3. On pourrait aller encore loin pour s’apercevoir que les Renault Espace ont bien changé d’une génération à l’autre.

Dessine-moi un Espace

Alors que reste-t-il de commun ? Beaucoup de choses : l’Espace a constitué un des porte-drapeaux de Renault voire LE porte-drapeau de Renault en Europe. Ca a toujours été le cas et cet état de fait n’a même jamais été remis en cause par le Koleos malgré l’engouement pour les SUV. Premier indice, donc.

Deuxièmement, l’architecture monocorps a toujours été de rigueur, à peine altérée sur le cinquième opus par la nécessité de relever le museau pour le choc piétons.

Troisièmement, le génial pare-brise en 3 parties avec les fenestrons, tuant les angles morts (remarquez, s’ils étaient déjà morts…) était aussi le fil conducteur des cinq Renault Espace.

La convivialité a aussi toujours été de mise avec une multitude de rangements (notamment ceux dans le plancher) ou les tablettes au dos des sièges avant. Quatrième point commun, donc.

Cinquième et non des moindres pour un mec comme moi : les toits ouvrants. Le premier Espace en proposait deux à une époque où il y en avait péniblement un en option en général. Et les générations suivantes n’ont pas cessé d’en proposer plus, un toit coulissant électriquement en plus de l’entrebâillant à l’arrière à la fin de vie de l’Espace II, concept repris sur le III qui en proposait jusqu’à 3, un gigantesque toit ouvrant coulissant panoramique sur les IV et V, bref, un équipement si caractéristique de l’Espace que le taux de prise d’option était largement supérieur à la moyenne.

Et enfin, la modularité, sixième point commun. Et j’en vois déjà s’étrangler. Oui, bien que l’Espace V ait limité drastiquement les combinaisons de sièges théoriques par rapport à l’Espace IV, il compensait par une modularité plus réaliste : La clientèle semble s’être lassée de manipuler des sièges de plus en plus lourds, Renault l’a entendue avec un système escamotable ménageant les muscles. Quoi qu’il en soit, les sièges indépendants ont toujours été de la partie.

Bref, on a défini 6 points communs fondamentaux aux cinq premières générations de Renault Espace. Voyons voir si le nouveau est si loin du compte qu’on pourrait le croire.

N’est-ce pas-ce un Espace ?

Premièrement, le positionnement : il coiffe la gamme Renault. Il n’appartient certes plus au segment E et devient un D SUV, certes, mais je ferai remarquer que les deux premiers Espace dérivaient d’une familiale du segment D : la R18. Rien de choquant.

Deuxième point : l’architecture monocorps. Aux oubliettes. Peut-on le reprocher à Renault ? Oui si, comme pour votre serviteur, les monospaces font vibrer une corde sensible [ne me jugez pas, je roule en berline…]. Mais dans les faits, les clients n’en ont cure : ils veulent des SUV, le Peugeot 5008 l’ayant déjà compris en opérant sa mue en 2017. Alors on ne va pas le reprocher à Renault. Faut bien gagner sa croûte.

Ce qui nous mène au troisième point : le pare-brise. Vous l’aurez compris, c’est un sacré renoncement. L’Espace devient une voiture bêtement normale. Et les angles morts sortent de terre comme dans le clip de Thriller. Ooow !

Quatrième fondamental : la convivialité. Planche de bord et panneaux de portes noirs, sellerie noire (bon, OK, il existe un cuir gris en option sur le haut de gamme), garniture de pavillon noir, moquette noire, c’est la Mer Noire. Et ça commence mal. Les tablettes au dos des sièges avant ? Je les cherche… Les rangements malins ? Rien de plus que sur l’Austral, ce petit Espace. Echec et noir mat.

Cinquième point : non l’Espace ne propose pas de toit ouvrant ! Inconcevable alors que les cinq autres se sont illustrés sur ce point, ont innové et on séduit tant de clients avec cette option… pas donnée. Renault prétexte que le toit ouvrant pèse trop lourd et impacte les émissions de CO2. La voiture se contente d’une verrière fixe (presque aussi lourde, soyons réaliste…). C’est à se demander comment font certains concurrents. A commencer par un certain Nissan X-Trail, basé sur la même plateforme, proposant un toit qui s’ouvre ! Je ne serais pas étonné de voir le futur 5008 proposer un toit panoramique ouvrant en option et faire un pied de nez à Renault. Le Losange a fait le premier Espace que je n’ai pas envie d’acheter.

Sixième et dernier fondamental, la modularité. On a parlé de son cousin technique, le Nissan X-Trail. Eh bien… Renault ne fait pas mieux ! Le japonais n’a pas cherché à briller et s’est contenté d’une modularité basique : banquette 2/3-1/3 coulissante, deux Isofix au rang 2, deux strapontins manuels au rang 3. Mais voilà, si ça peut suffire à Nissan qui n’a pas la même Histoire que Renault sur le marché des familiales en Europe, il en est autrement pour Les Voitures à Vivre. Franchement, oseriez-vous passer un morceau de Robert Palmer en découvrant une modularité si peu aboutie à bord ? Un Peugeot 5008 propose 3 sièges individuels en rang 2, pourvus chacun d’ancrages Isofix. Renault est dépassé par Peugeot après avoir dominé le modularité-game depuis les années 60 !

Sur 6 thèmes qui font le fil conducteur de l’Espace, Renault en trahit 5. Et un seul semble justifiable à mes yeux. L’Espace n’est plus l’Espace, c’est un Grand Austral. Je comprends volontiers la nécessité de ne pas l’appeler Austral quand on voit à quel point l’appellation 5008 permet à Peugeot de placer son SUV 7 places dans un segment supérieur au 3008 dans l’imaginaire des clients. Alors pourquoi se priver ? Citroën y avait d’ailleurs réfléchi pour sa seconde génération de Grand C4 Picasso avant de se raviser. Mais de là à utiliser l’appellation Espace qui a marqué le public depuis près de 40 ans pour un véhicule si différent et surtout si peu innovant, c’est décevant.

Non pas que ce nouveau Renault Espace déçoive : il reprend les qualités de l’Austral, son super multimédia, ses motorisations hybrides, il héritera sans doute de son confort et de sa tenue de route, il ravira de nombreux clients en quête de leur future voiture de fonction, désireux de remplacer leur 5008 Business Pack BlueHDi 130 gris par autre chose, et il le fera sans doute avec brio. Mais pas avec la légitimité de s’appeler Espace.

Qu’est-ce qui se passe dans l’Espace ?

Son nom sera-t-il un handicap ? Je n’y crois pas un seul instant. Ma voiture a un nom dénué de sens, absolument pas poétique ou intelligent, ça ne m’a pas empêché de l’acheter. Mes parents roulent dans un Picasso qui n’est ni rose, ni bleu ni cubiste. Même Audi vend des e-Tron sur les marchés francophones sans que cela n’influe sur les volumes de ventes. Le ciseau aboie et la caravane passe : l’appellation Espace fera hurler quelques personnes, moi inclus, au moment du lancement, mais au fond, les gens l’achèteront pour ce qu’il sera probablement : un bon SUV 7 places. Et d’autres ne l’achèteront pas pour les défauts qu’on lui connaît déjà, à l’image de la modularité qui n’est plus en phase avec la réputation de Renault ou, si vous êtes comme moi, pour son absence de toit ouvrant.

Finalement, la seule erreur qu’a faite Renault, à mon sens (en plus d’avoir l’outrecuidance de ne pas proposer de toit ouvrant !), c’est de se priver du potentiel fantastique que recouvre l’appellation Espace pour l’utiliser plus tard sur un véhicule vraiment innovant, un porte-drapeau flamboyant, une sorte de Tesla Model X frappé du Losange capable de faire rêver les gosses de 2025 comme l’Espace a fait rêver le gosse que je n’ai pas cessé d’être depuis les années 80. Et par avance, bon courage au marketing pour nous faire un story telling crédible avec ce sixième Espace… vous l’avez cherché !

Photos : Renault / Le Nouvel Automobiliste

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