Emmener sa voiture en révision, c’est souvent une contrainte. Surtout quand, comme votre serviteur, vous roulez en Cadillac, une marque qui brille par un réseau quasi inexistant en Europe. A peine 3 concessionnaires en France. Mais la France, on l’aime ou on la quitte. Bref, ici, en Slovaquie, le réseau Cadillac est fort de précisément 1 concessionnaire. Rapporté au nombre d’habitants, ça fait une densité nettement supérieure à celle du réseau français… Quant au concessionnaire en question, il gagne naturellement sa vie avec autre chose que les non-ventes de Cadillac (environ 700 voitures péniblement écoulées sur notre continent en 2023 !). En l’occurrence, en important d’autres américaines. Direction Bratislava pour essayer une… Dodge Challenger R/T Scat Pack 1320 pendant que les mécanos s’affairent en atelier.

Dodge Challenger : l’outsider
Dodge a récemment présenté ses nouvelles Charger, chargées (désolé…) de remplacer à la fois la berline Charger et le coupé Challenger avec une appellation unique mais deux carrosseries et deux énergies : L6 essence biturbo ou moteur électrique au choix. Fini le bon vieux V8, mais vous pouvez maintenant charger votre Charger (re-désolé, fallait pas me challenger avec des jeux de mots pourris. Re-re-désolé). Inutile de trop s’attarder ici sur la nouveauté, Adrien l’a fait pour nous dans cet article. Alors, finies les muscle cars à moteur V8 ? Il reste la nouvelle Mustang, mais elle n’est pas officiellement distribuée en Europe. Pas plus que cette Dodge Challenger, me direz-vous, s’agissant d’importations à titre isolé qui ne sont pas si isolées que ça : il y en avait 4 sur le parking du concessionnaire et gageons qu’il y en ait pas mal d’autres à travers l’Europe qui n’attendent que votre chèque, slovaque ou pas.



D’ailleurs, et pour parler chiffres, la Challenger est le modèle le plus vendu de Dodge, RAM inclus, en Europe, avec 285 voitures immatriculées en 2023 sur un total de 460 voitures des deux marques l’an passé. Le concessionnaire m’a avoué avoir fait un mois record en mars avec 5 Challenger vendues… qui contrastent avec les mois précédents qui oscillent généralement entre 0 et 1 exemplaires. Quoi qu’il en soit, ça reste très loin devant les Cadillac XT4 et Lyriq, précisément écoulées à zéro unités en Slovaquie en 2023. Bref, vous comprenez mieux pourquoi le concessionnaire Cadillac ne vend pas que des Cadillac pour vivre. GM Europe va avoir du boulot pour convaincre le public européen que la marque existe encore. Alors retour à notre muscle car de chez Stellantis.



Notre Dodge Challenger d’un jour (enfin, d’une demi-heure…) est une version Challenger R/T Scat Pack 1320 toute neuve, avec à peine 90 km au compteur. 1320 ? L’ex-expat en Roumanie amateur de bizarreries pense immédiatement à la Dacia éponyme qu’il n’a jamais eu la chance de croiser (j’ai quand même vu une 1325 Liberta une fois dans ma vie, je peux mourir tranquille). Mais apparemment, aucun lien. Etrange. Non, c’est une référence aux 1320 pieds qui constituent le quart de mile, clin d’œil aux drag races américaines. Cette civilisation m’épatera toujours par sa capacité à snober le système métrique. Quant à R/T, ça signifie Road/Track, encore une allusion à la course. Cette Dodge Challenger est la troisième génération du modèle, dont la ligne fait écho à la première du nom, produite de 1970 à 1974. Mieux valait ça que de faire référence à la seconde Challenger, qui n’était qu’une Mitsubishi Galant 2 portes importée et rebadgée au début des années 80. L’actuelle Dodge Challenger est sortie en 2008, soit il y a précisément un bail, à une époque où… j’habitais déjà en Slovaquie. Quant à sa production, elle a pris fin il y a quelques semaines à peine au sein de l’usine de Brampton, dans l’Ontario. Une usine qui a produit ses premières voitures en 1987… sous le pavillon de Renault ! Je ne vous narrerai pas ici l’histoire de la Renault Premier, allez consulter le bel article de Guillaume, sachez simplement qu’après 200 Renault produites, l’usine a été reprise par Chrysler, les Renault Premier ont été rebadgées à la hâte et voici désormais le site de fabrication au sein de la galaxie Stellantis. Quant à la plateforme de la Dodge Challenger, c’est un lointain dérivé de la base des Mercedes Classe E W210 qui donne ses organes, baptisée plateforme LC pour l’empattement court des Challenger puis LA à partir de 2015 et les adaptations nécessaires à la BVA8.
Dodge Challenger : chargée d’émotion

Le commercial me tend les clés, une poignée palette permet d’ouvrir la porte : on n’est pas dans le registre de la poignée affleurante qui revient en force mais dans un registre un peu plus old school. Ou vieille école, comme disent les américains. La voiture n’est pas si basse qu’elle en a l’air : la garde au sol de 13 cm et la hauteur de 1,46 m renvoient plutôt à des valeurs de berline. D’ailleurs, ma berline (une Cadillac ATS) est bien plus basse avec seulement 1,42 m de haut (et 1 cm de plus en garde au sol) ! Il en résulte qu’il y a en fait plein de place à bord de la Dodge Challenger. Du moins à l’avant. Et du moins vu de la perspective d’un gars qui n’est pas spécialement grand. Les places arrière ? L’espace aux jambes est plus que compté, il y a la Charger pour… charger confortablement des passagers au rang 2. En contrepartie, le coffre est vaste, bien que son accès soit un peu exigu et pénalisé par un seuil élevé. On regrette aussi l’absence de poignée pour le refermer. Bien entendu, avec une ceinture de caisse fort haute et une ambiance intérieure sombre, on se sent engoncé à bord. C’est d’ailleurs l’effet recherché : on n’est pas dans un monospace. Globalement, la visibilité périphérique n’est pas le fort de la voiture, bien que les montants A soient peu épais. Mais la caméra de recul et les alertes d’angle mort permettent de compenser la rétrovision un peu moyenne.

La Dodge Challenger n’est pas forcément la citadine idéale avec ses 5,03 m de long et 1,92 m de large, mais personne n’a jamais prétendu le contraire, donc vous ne tomberez pas de votre chaise. Justement, les sièges, bien que relativement larges pour nos standards européens restent enveloppants avec des maintiens latéraux bien dessinés. Garnis de cuir souvent plastique et d’Alcantara, ils ne présentent pas un design particulièrement recherché. Ni particulièrement moderne. Sans surprise, la remarque s’applique à tout l’habitacle. La voiture est sortie en 2008, le restylage date d’il y a 7 ans : malgré le grand écran multimédia réactif et ergonomique, là encore, aucun miracle n’est à espérer. Les rangements sont chiches pour une américaine, le chargeur à induction n’existe pas, les bacs de portes n’ont rien de fantastique, pas plus que les plastiques et les décors intérieurs en « carbone vegan ». De toute évidence, le principal attrait de la Challenger n’est pas ici.



Comme la vérité, il est ailleurs, et ça commence par un style très bien senti et délicieusement rétro. Flanquée de grandes roues chaussées en 275/40 R20 à l’avant comme à l’arrière, solidement campée sur de musculeuses ailes arrière remontant allègrement, longiligne et intimidante, elle en impose. Ne vous méprenez pas quant à ses projecteurs à 4 optiques : celles du centre sont en réalité des écopes cerclées de DRL ! La pelle à tarte qui sert de spoiler avant et l’entrée d’air surmontant fièrement le capot sont là pour enfoncer le clou, tandis que l’aileron arrière et les sorties d’échappement vienne parfaire le grand méchant look de la Dodge Challenger, bien aidés par des feux horizontaux ou de sympathiques détails comme la trappe à carburant non affleurante sur laquelle est précisée « fuel », des fois que vous y auriez eu envie d’y verser du lave-glace. Difficile de croire que la voiture date de 2008 tant son style est réussi. Et si jamais elle vous semble trop timorée, sachez que vous pouvez aussi vous rabattre sur des versions « wide body » encore plus intimidantes. Il est grand temps de démarrer la bête pour prendre la vraie mesure du potentiel de la Dodge Challenger.
Dodge Challenger : rauque and roll

J’appuie sur le bouton de démarrage : un vrombissement, que dis-je, un grondement se fait entendre. « Ca réveille les voisins le matin », me lance malicieusement le commercial. Et que c’est bon ! Habitué à un roturier 4 cylindres en ligne multisoupapes turbocompressé à injection directe, j’en venais à négliger honteusement les plaisirs futiles d’un bon gros V8 atmo à 2 soupapes par cylindre ! Oui, vous avez bien lu, j’ai autant de soupapes dans mon 4 cylindres qu’il y en a dans ce V8. Vieille école, disait-on ! On a donc affaire à un V8 atmo 16 soupapes de 6417 cm3, développant la bagatelle de 492 ch à 6 100 tr/min pour un couple camionnesque de 644 Nm à 4 100 tr/min. Moi qui aime les gros diesels, je suis servi ! Le tout est accompagné par une boîte automatique à 8 rapports. Mais avant toute chose, sachez que l’essai s’est effectué à Bratislava, majoritairement en ville et sur une voiture destinée à être vendue. La prise en mains n’a duré que 30 minutes sans avoir l’occasion de tout tester, à commencer par les différents modes de conduite. Ils existent et peuvent rendre la voiture plus sauvage qu’elle ne l’est. Avec des appellations comme « drag » et « super track pak », on se doute qu’il a de quoi avoir une conduite un brin dévergondée. Mais tout ça restera de la théorie.



En pratique, on se saisit du large volant entièrement gainé d’Alcantara, agréable à prendre en mains et on s’amuse un peu avec la pédale de droite. Et l’on a vite fait de réaliser que le couple est gargantuesque : l’accélération colle au siège sans même appuyer à fond. On ose imaginer que la Dodge Challenger a de quoi vous satelliser. Malgré cela, non seulement le confort se montre très honorable grâce à un amortissement conciliant avec la conduite du quotidien, mais le comportement routier est rassurant… sur le sec : je n’ai aucune idée du potentiel qu’a la bête pour vous donner des sueurs froides sur chaussée humide. Fait amusant, les rétrogradages manquent un peu de douceur, présentant de menus à-coups, comme pour vous signifier que la voiture fait dans le brutal. Le tout, accompagné de la bande son qui va bien. La moindre accélération vous rappelle que la Dodge Challenger laisse son sang royal au vestiaire et gueule comme une poissonnière de Ménilmontant.



Fait amusant, le combiné d’instrumentation dispose d’un « torque meter ». Rares sont les véhicules à afficher aussi fièrement leurs valeurs de couple en direct, bien qu’on puisse franchement douter que ça signifie quoi que ce soit pour qui que ce soit dans la vraie vie. Mais on est heureux que ça existe. Le genre de trucs que Jérôme Bonaldi aurait à juste titre qualifié de « rigoureusement inutile, donc totalement indispensable ». Mais fort heureusement, aucun « effet Bonaldi » n’est à attendre de la Dodge Challenger. Sa conception ancienne se posant en gage de fiabilité. Parmi les autres équipements, on trouve notamment le régulateur actif ou l’alerte d’angles morts, la clim automatique, les sièges électriques, une sono Harman Kardon forte de 19 HP et un multimédia encore très honorable. Bref, un équipement très complet si on se place il y a 10 ans. Et encore acceptable si on n’attend pas trop d’équipements hi-tech à bord. Le client potentiel de la Challenger sera nettement plus heureux de savoir qu’il peut compter sur un freinage efficace servi par des disques ventilés de gros diamètre à l’avant comme à l’arrière (360 mm et 350 mm respectivement) et des liaisons au sol des plus modernes avec un train arrière multibras. Et quel bruit ! La Dodge Challenger sonne comme un formidable anachronisme sur le continent européen, et on ne boude pas notre plaisir de la conduire. Et de partager cet exotisme avec vous.
Dodge Challenger : oldie but goodie

Les bonnes choses ont une fin : après quelques minutes de conduite et un arrêt photo aux pieds de l’UFO en bord de Danube, il est temps de garer la Dodge chez Cadillac. Je rends les clés en me disant que j’en veux une. Puis je repense immédiatement au tarif affiché sur le panneau : 79 868 € pour cet exemplaire. Ouch. En France, vous y ajouteriez la moitié de Fort Knox en malus. Ce qui explique d’ailleurs qu’il y en ait eu très précisément zéro de vendues dans l’Hexagone l’an passé (et seulement 2 Cadillac XT4 si jamais vous vous posiez la question). La Dodge Challenger est monstrueusement délicieuse à plus d’un égard. Son look, sa sonorité, ses performances, son agrément à l’ancienne digne des mix de DJ Abdel, et même, sa rareté sur nos routes. C’est toujours agréable d’avoir une voiture singulière. Sauf quand le garage le plus proche de chez vous est à 40 km… Mais est-ce bien important ? Quant à la consommation, je ne répondrai pas à une question aussi vulgaire. D’autant que j’ai oublié de la relever ! Conduire cette Dodge Challenger restera un bon souvenir, certes hors de portée à moins de me trouver une expatriation aux USA et de la payer au « vrai » prix. En attendant, je sais que mon chef me lit : chiche pour une cinquième expat au Far West, cette fois ?

Ďakujem au garage Todos Exclusive de Bratislava pour ce tour en Dodge Challenger. Et sachez que si vous lisez notre site, que vous roulez en américaine et que vous passez par-là (ce qui fait pas mal de si, j’en conviens, et avec des si… avec des si bémol à l’armure on serait en fa majeur ou en ré mineur), vous avez un garage qui saura s’occuper de votre voiture à Bratislava.















Photos : Le Nouvel Automobiliste