Le Nouvel Automobiliste
Ferdinand Piëch

Disparition de Ferdinand Piëch (1937 – 2019)

C’est un des patriarches de l’automobile allemande qui vient de nous quitter. Ferdinand Piëch, l’homme qui façonna le Groupe Volkswagen d’aujourd’hui et qui fut à l’initiative de nombreuses avancées technologiques comme de résurrections de marques, est sorti de scène à l’âge de 82 ans.

Ferdinand Piëch : l’homme qui n’était « pas né dans la bonne branche de la famille »

Parler de Ferdinand Piëch, c’est d’abord et avant tout parler du contexte dans lequel il vit. On ne naît pas petit-fils de Ferdinand Porsche sans qu’il y ait des conséquences. Né le 17 avril 1937, il est le fils d’Anton et Louis Piëch, la sœur de Ferry Porsche. Ingénieur, c’est fort logiquement qu’il entre au bureau d’études de Porsche en 1963 à Stuttgart. Quelques années plus tard, il dirige les programme de compétition qui verront naître l’épopée de la 917 en Endurance, dont le règne aux 24 Heures du Mans commence en 1970. Mais, critiqué par son oncle, il est forcé de quitter l’entreprise Porsche.

Il rejoint alors Audi, en 1972, et n’aura de cesse d’en faire le rival de BMW et Mercedes-Benz. Cela prendra près de 30 ans et cela se fera à coups d’innovations techniques (Quattro), de modernité (aérodynamique soignée), de nouveaux moteurs (TDi), et d’un soin obsessionnel pour la qualité perçue. Il choisit de nouveau Le Mans pour faire la démonstration éclatante de ses performances, et après Porsche, Audi y est le constructeur le plus titré avec 13 victoires (19 pour Porsche). A la tête d’Audi de 1988 à 1992, il tire parti de la crise de la maison-mère Volkswagen pour en prendre les rênes, en 1993.

Faire de Volkswagen le premier constructeur au monde

Après avoir transformé Audi, Ferdinand Piëch redresse le Groupe Volkswagen tout entier. Il construit les bases du groupe d’aujourd’hui, avec deux pôles : un sportif autour d’Audi, un autre « grande série » autour de Volkswagen. Les acquisitions du début des années 1990, Seat et Skoda, deviennent les marques d’entrée de gamme du groupe, sans qu’elles n’en déprécient l’image. Les bénéfices sont réinvestis dans une boulimie d’achats : Bentley et Rolls Royce, Lamborghini, puis Bugatti à la fin des années 1990. Tout juste abandonnera-t-il Rolls-Royce au groupe BMW en 2003. Les années 2000 seront l’occasion de s’offrir MAN, Ducati ou encore Scania. Le Groupe VW devient, pendant quelques heures, la première capitalisation mondiale en 2008. Tout un symbole.

Le tour de force réside aussi dans le fait d’avoir pensé le Groupe VW comme un groupe intégré. Loin que d’assembler des entreprises entre elles, Piëch maximise le partage d’éléments entre chaque marques. L’aboutissement ultime en est, au tournant des années 2010, les plateformes communes MQB (moteur transversal), MLB (longitudinal) et MSB (en position arrière), sur lesquelles sont appelées à être bâties toutes les voitures du Groupe.

L’ivresse de l’hybris

Au milieu de ces faits rationnels, Ferdinand Piëch ajoute de l’irrationnel. De la folie. Des audaces techniques qui font d’abord sourire avant, souvent, de susciter l’admiration. Ainsi, derrière le rachat de Bugatti il y a l’ambition de produire en série une voiture qui dépassera les 400 km/h. Ce sera la Veyron, avec un improbable moteur W16 quadriturbos. Les « folies » du patron toucheront toutes les marques et notamment Volkswagen, qu’il souhaite voir couvrir tous les segments, y compris le haut-de-gamme, pour aller au-delà de son nom de seule « voiture du peuple ». Les limousines Phaeton, la supercar Nardo, la Passat W8 et le SUV Touareg en seront les enfants, dont il ne reste aujourd’hui guère que le Touareg et le moteur W12, repris par Bentley.

Lorsqu’il passe la main du Groupe VW en 2002, devenant Président du Conseil de Surveillance, il se rend à Wolfsburg au volant de sa dernière audace technologique : la Volkswagen L1, un prototype TDi à la consommation limitée à 1l/100 km. Irréaliste ? Cela deviendra, une décennie plus tard, un modèle de petite série, le XL1.

Le dernier coup de maître

Au milieu des années 2000, Porsche se rappelle à Piëch. Non que les liens entre les deux entreprises n’aient pas été constants (le Cayenne ne partage-t-il pas beaucoup avec le Touareg ?), mais la branche Porsche s’engage dans l’absorption de Volkswagen. Bénéficiant de sa rentabilité, la meilleure du monde, la grenouille de l’histoire grossit, grossit, grossit. Mais alors que la crise économie arrive, les actions Volkswagen sont plus chères que jamais. Le 23 juillet 2009, coup de théâtre : Wendelin Wiedeking, le PDG de Porsche, abandonne et Volkswagen sauve Porsche, au bord de la faillite. Piëch signe là presque son ultime coup.

Pourtant, devant un tableau aussi idyllique, certains échecs sonnent comme des contrepoints. Les aventures japonaises (avec Suzuki) pour conquérir l’Inde tourneront court. Leader en Chine, Volkswagen peine à s’imposer aux Etats-Unis, où il veut plus que tout y faire triompher le « Clean Diesel ». La fraude technologique sera la solution pour convenir aux ordres du management de Piëch et de son homme de confiance, Martin Winterkorn, et coûtera à Volkswagen le plus grand scandale de son histoire, celui des « Diesel truqués ». Ferdinand Piëch est poussé vers la sortie la même année 2015, puis liquide l’ensemble de ses actions VW deux ans plus tard.

Retiré des affaires, il se murmurait que Piëch était le discret propriétaire de la Bugatti La Voiture Noire, la voiture la plus chère du monde. Peut-être était-ce le cas. Ou peut-être pas. Aujourd’hui, le nom de Piëch est de retour sur le devant de la scène automobile avec Anton Piëch, le fils de Ferdinand Piëch, et créateur de sa propre marque. L’automobile, assurément une affaire de famille chez les Piëch.

Source : Handelsblatt.

Francois Mortier

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