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Fiat Multipla Le Nouvel Automobiliste Fiat Multipla Vilbrequin

Fiat Multipla : Spacious Oddity

Souvenez-vous, c’était il y a 20 ans : Oasis était le plus grand groupe du monde, les Spice Girls faisaient la une, je partais en voyage scolaire en Bavière… Oui, bon, ça, à la limite, vous ne le saviez pas. Mais la révolution était en train d’avoir lieu : je ne parle pas de mes verbes irréguliers studieusement appris, non, je parle des monospaces compacts. Les grandes familiales hautes, modulables et généreusement vitrées qui faisaient tant rêver les familles venaient enfin de se démocratiser grâce à la fraîchement ex-Régie Renault. Le Scénic était le petit frère de l’Espace que les classes moyennes, entre autres, attendaient. Les voitures étaient prises d’assaut au Mondial de l’Automobile de Paris en 1996, les commandes affluaient, Renault en a profité pour augmenter les tarifs de 2 000 Frs dès le mois de décembre tant la demande était grande. A quelques mètres de là, sur son stand, Fiat était le premier à riposter avec le Multipla. Retour sur cette étrangeté automobile.

Fiat Multipla : when you’re strange

Renault créait donc l’évènement en lançant le Scénic, le monospace du peuple, alors dérivé assumé de la gamme Mégane (il se nommait même Mégane Scénic). Malgré sa position de conduite qui fit le bonheur d’une génération de kinésithérapeutes, en dépit de boîtes de vitesses aux commandes détestables et de prises de roulis assez marquées, le Scénic correspond aux aspirations des familles européennes. On passe aussi sur un design loin du concept initial supervisé par Anne Asensio, avec une ligne manquant un peu d’équilibre, la faute aux projecteurs récupérés de la berline Mégane qui sont trop petits pour la face avant du dérivé monovolume, conçu en partie par Dominique Levent. La concurrence aura un train de retard.

Le premier constructeur à dégainer, vous l’aurez compris, vient de Turin : Fiat présente le concept car Multipla au même salon de Paris. Un concept car pensait le public… Comment aurait-il pu en être autrement ? Obnubilés par le Scénic, incrédules devant ce concept, les gens n’avaient d’yeux que pour la Renault : mais le Multipla était bien là, presque définitif. Faut dire qu’avec son physique délirant (une sorte de monospace bicorps avec 3 rangées de phares), des dimensions peu communes (la largeur d’une Classe S pour une longueur inférieure à une Brava), une architecture intérieure sans pareille avec ses 3 places individuelles à l’arrière précédées de… 3 places individuelles à l’avant : le concept Multipla avait tout pour rester un délire de salon, un peu comme son inspiratrice, l’Alfa Romeo Capsula d’Ital Design. Quant au nom, il rend hommage à la Multipla originelle, basée sur la Fiat 600 et offrant 6 places sur… 3 rangées.

Original, ce concept Multipla. D’ailleurs, les études de marché prédisaient l’adhésion de 20% de la clientèle potentielle au concept tandis que les 80% rejetteraient le produit. Vous avez dit clivant ? Pourtant, l’accord de production a été donné : décision peu commune dans un secteur régulièrement frileux et avare en marge opérationnelle. Mais il faut rappeler qu’en 1996, Fiat, bien que déclinant sur divers aspects, était autrement plus fort qu’il ne l’est aujourd’hui. N’oublions pas non plus que la voiture la plus vendue en Europe était la Punto : les temps ont bien changé. Trêve de digression, le concept car Multipla est osé, dirons-nous, pour éviter une métaphore tournant autour du scrotum.

Fiat Multipla dans les grands

La version définitive est présentée deux ans plus tard, en 1998 (ça vous évitera une difficile addition). Il s’agit d’une voiture très fidèle au concept car, à peine altérée. Autant dire qu’elle détone dans le paysage automobile d’alors ; et elle détone aujourd’hui encore. Imaginez que la Cité Radieuse de Le Corbusier ait été enfantée par Antti Lovag et vous vous faites une idée de ce mélange de rationalité et de délire en forme de maison bulle qu’est le Multipla. C’est d’ailleurs une des rares voitures à avoir été exposée au MoMA, le musée d’art moderne de New York.

Son importante surface vitrée (pouvant encore être accrue par le double toit ouvrant électrique optionnel et indispensable si vous tenez à mon estime) sort également du lot : en effet, les vitres latérales, très verticales, sont si hautes (la ceinture de caisse est en réalité très basse) qu’elles ne peuvent pas descendre complètement dans la portière. Véritable bulle, le Multipla se veut aux antipodes de l’actuelle mode des voitures dotées de meurtrières surteintées opprimant les occupants et éloignant les enfants des joies du paysage. Le véhicule veut ouvrir ses passagers au monde extérieur. Et ce n’est pas un mal : mieux vaut regarder à l’extérieur car, dans la grande tradition Fiat d’alors, la qualité perçue est loin d’être au top tandis que la qualité d’assemblage est certes meilleure mais pas géniale pour autant.

Si un Scénic pouvait donner l’illusion dans ses premières années avant de vieillir comme une Mégane de l’époque (i.e. très mal), le Multipla semblait vouloir jouer cartes sur table avec son client potentiel : « Je ne suis pas une Audi et je ne ferai jamais croire le contraire », semblaient suggérer ses plastiques. La modularité est là : le siège central peut être remplacé par un coffret fourre-tout ou une glacière. Produit à Mirafiori, le Multipla est prévu pour une capacité annuelle de production de 60 000 unités/an.

Sur la route, sa grande largueur et ses suspensions un peu fermes le rendaient très différent du Scénic alors enclin à se pencher allègrement en virages. Le conducteur avait le choix entre un 1.6 essence et un 1.9 JTD (pas de BVA au programme). Mais le conducteur avait également le choix entre un Multipla et le reste du marché (voire la vasectomie). Guess what? Les stars du segment se sont appelées Scénic, Zafira ou Picasso : jamais le Multipla ne se hissera au niveau des volumes de ventes de ses rivaux… Michael Schumacher, vedette de la campagne de lancement, n’y pourra rien. Pas plus que le restylage de 2004 donnant une allure plus consensuelle à la voiture. En effet, Fiat a tenté de relancer la voiture en remaniant significativement la face avant : baie de pare-brise, ailes, capot, projecteurs, pare-chocs, le bec et les bourrelets cédaient leur place à un design normalisé tandis que la face arrière présentait des feux moins « Barbapapa » que ceux de la première mouture. A bord, la qualité perçue progresse un peu sans marquer de réelle révolution. L’allure du Multipla devient plus acceptable pour le public, sa campagne de pub joue la carte de la subversion, mais la concurrence est bien trop installée pour lui laisser une part du gâteau. D’autant plus que de nouveaux acteurs entrent dans la danse à commencer par Ford.

Avec ses six vraies places, sa longueur réduite, son comportement routier aux antipodes des prises de roulis habituelles des monospaces, sa luminosité, sa modularité, son côté jovial (+ 13 teintes dont 3 pastel) et sans prétention, le Multipla aurait presque le profil de la familiale idéale. Et puis combien de voitures peuvent prétendre caser 6 adultes dans un gabarit de seulement 4,09 m ? Mais honnêtement, avez-vous épousé votre moitié pour sa seule intelligence ? Dans les faits, le Multipla n’avait ni le profil ni la face ni même le derrière de la familiale idéale : la laideur a rarement payé et ce monospace compact ne déroge pas à la règle. Laideur ? Je vais peut-être un peu vite en besogne car finalement, je lui trouve un certain charme.

Est-ce l’audace ou l’intelligence du concept, je n’arrive pas à trancher, mais il mérite bien mieux que le mépris, ce Multipla. Et puis, combien de voitures peuvent se targuer d’avoir été exposées au MoMA ? De quoi se demander si on n’a pas affaire à une œuvre d’art… Mais une vraie œuvre d’art suscite la convoitise. Son concept a bien été copié, pas son style. La Honda FRV reprenait la disposition en deux fois trois places. A ceci près qu’Honda a décalé les places du milieu afin de minimiser la largeur du véhicule, plutôt élégant et consensuel, au passage, tandis que la planche de bord se montrait qualitative. En dépit de cela, la FRV n’a pas non plus eu de remplaçante faute de succès. Le design de son profil lui a survécu, inspirant légèrement BMW pour son Active Tourer.

Singulier et pluriel

Monospace audacieux, clientèle frileuse ou conservatrice ? Et moi, aurais-je acheté un Multipla ? J’aurais probablement trouvé plusieurs excuses (pas de BVA, qualité perçue peu engageante…) mais au fond de moi, je rassurerais mon manque d’audace latent en me disant que j’étais tout simplement lycéen lorsque le Multipla est sorti. Les Spice Girls étaient déjà passées de mode et Oasis était toujours le plus grand groupe du monde. Ça date…

Ironiquement, ce monospace 6 places a repris vie au pays de l’enfant unique : le chinois Zotye rachète les outillages à Fiat et conçoit même une version électrique. On trouve aussi un exemplaire unique de Multipla Spider,sur moteur d’Alfa 145 QV, qui fut offert par Pininfarina à l’avvocato, Giovanni Agnelli. 20 ans après le concept et la courageuse décision de le produire en série, il était temps de saluer la bravoure de Fiat. Et puis, avec 328 862 exemplaires produits, le Multipla est tout sauf un échec, n’en déplaise aux haïsseurs. Ou même à Top Gear,  de France ou du Royaume Uni. Ils n’ont rien compris.

Photos : Fiat, Forum-Auto, Carstyling.

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