Comme souvent chez les chevrons, le concept-car Citroën 19_19 est une étude de style complète, c’est-à-dire qu’elle dispose d’un intérieur, qu’elle est fonctionnelle et même roulante. A l’origine de ce travail, les designers extérieur, intérieur, couleur & matières, mais aussi l’interface homme-machine (IHM) et les experts du Prolab où se conçoivent les roues notamment. Nous avons réuni tous les créateurs du projet CC19, pour Concept Centenaire 2019.
De gauche à droite sont présents Samuel Périclès, designer Citroën, en charge des roues avec Goodyear ; Aude Renon, designer couleurs & matière intérieur / extérieur ; Jérémy Lebonnois et Raphaël Le Masson, tous deux designers de l’intérieur du concept-car ; Dominique Liegey, responsable de tous les IHM et de la coordination graphique entre les écrans numériques pour Citroën ; et Romain Gauvin, designer extérieur du concept.

Le Nouvel Automobiliste : Une partie d’entre vous, Raphaël Le Masson et Aude Renon, a travaillé sur l’étude Ami One présentée plus tôt cette année. Doit-on voir une proximité entre les deux études ?
Romain Gauvin : Chaque étude fait partie de la même célébration du Centenaire, elles sont complémentaires. Leurs briefs ont été lancés ensemble, et maintenant, c’est le second volet de la célébration.
Raphaël Le Masson : Ce sont les deux extrêmes de la vision de la mobilité de Citroën : la mobilité urbaine d’un côté, et le voyage au long-cours de l’autre aujourd’hui, avec des visions à court et plus long terme.
LNA : Les deux concepts-cars ont été créés l’un à côté de l’autre, sur un même plateau ?
Raphaël : il y a d’abord eu des compétitions internes.
Aude Renon : Raphaël et moi avons dû bien travailler deux fois de suite pour remporter la compétition !
LNA : On avait remarqué sur l’AMI One l’arrivée du bleu, pour les lanières de portes et les sièges. C’est une couleur qu’on associe moins que le rouge à Citroën dans son histoire, même si le premier logo était jaune et bleu ?
Aude : Le rouge orangé chez Citroën est assez récent comme marque de fabrique, et on attribue trop souvent le bleu à Peugeot. Mais finalement, il n’y a que Milka qui ait sa couleur je pense ! Pour ce concept-là, on a gardé en tête la Rosalie, son bleu mythique, et on ne s’interdit rien. On essaie de trouver la couleur qui convient le mieux au véhicule, à son idée. Si sur Ami One vous notez que du bleu est arrivé, on a gardé un orange à l’extérieur.
LNA : C’est en tout cas un choix surprenant car jusqu’à présent, il n’y avait plus eu de bleu dans les études de style depuis longtemps !
Aude : Et ça fait du bien !
LNA : Tout à fait ! En termes d’aménagement intérieur, le typage du confort des sièges conducteur, passager et de la banquette sont différents. Avez-vous eu recours comme pour les sièges Advanced comfort à des mousses à densité variable ?
Jérémy Lebonnois : Sur chacun des sièges en effet. La mousse la plus épaisse, la plus moelleuse, est celle du sofa arrière, alors que celle de la méridienne est la mousse qui s’enfonce le moins car le confort est créé par la posture. Si on avait mis une mousse plus épaisse, on aurait plus de difficulté à en sortir, un peu comme l’effet matelas à eau.
LNA : L’absence d’écran à bord surprend beaucoup. C’est une réinvention totale du poste de conduite moderne, non ?
Dominique Liegey : C’est ça, tout le défi est de les faire oublier même s’ils restent présents, afin d’avoir un habitacle plus raisonnable. L’écran doit être un liant en harmonie avec le style intérieur, mais l’intérêt d’un concept-car pour un designer, c’est de se demander : « Et si ? », pour avoir de la liberté de création. Comme c’est une projection sur l’avenir d’ici 10 à15 ans qui fait abstraction des contraintes techniques, voilà l’IHM du futur, post course à l’armement des écrans embarqués.
LNA : Qu’est-ce que cette IHM permet exactement ?
Dominique : L’assistant devient le « cinquième passager » de la voiture avec un contact uniquement vocal, sans tactile. On supprime le superflu pour n’avoir qu’un ressenti naturel : les seuls contacts physiques de la voiture sont le bouton On/Off et le sélecteur Drive / Neutre / Reverse de vitesse. L’objectif de l’IHM est de ne pas avoir de rupture dans l’expérience utilisateur et dans l’harmonie de l’habitacle. C’est l’inverse de la surenchère : la technologie est présence mais invisible.
LNA : D’où vient l’idée du totem, limite « monolithe noir » de l’interface ?
Dominique : C’est inspiré d’Alexa, dont on voit le potentiel heuristique intégré au véhicule pour proposer des services pertinents par préférences, selon les lieux où l’on se rend par exemple.
LNA : Extérieurement, on remarque la présence de vitrophanie sur les portières arrière. Comment est-ce arrivé ?
Aude : C’est à l’origine une contrainte technique. Le point de départ de la vitrophanie est de créer un îlot de privatisation pour la banquette arrière, et pour le faire, il n’y a pas que le film micro-perforé qui existe. D’autres techniques auraient pu fonctionner si on avait eu d’autres dimensions, une autre géométrie ou d’autres savoir-faire, beaucoup de choses ont été testées avant de pouvoir mettre au point cette solution qui soit la plus efficace, esthétique et durable. L’idée n’était pas d’avoir un film pour avoir un film : c’est une solution parmi tant d’autres pour avoir cet effet recherché.
Raphaël : Dans le dessin aussi, il y a une rupture graphique de traitement des masses.
Romain : C’est une manière de déconstruire l’architecture des voitures actuelles, qui ont un cylindres de vitres et un découpage toujours horizontal. Ici, on bascule complètement cette notion-là et mon approche était de réfléchir à la transparence, de le traiter en gradation pour l’expérience : au rang 1 on profite pleinement ; au rang 2, une ambiance plus intimiste où l’on profite de l’ombre, où l’on n’est pas visible. Chacun choisit un peu l’environnement dans lequel il veut s’asseoir.
LNA : Pourquoi s’être limité à quatre places ?
Romain : C’était dans le brief de départ, par complémentarité avec Ami One. Celle-ci, c’est la vision de la grande routière du futur alors qu’Ami One est plus urbaine.
LNA : Lors de la définition du projet, combien de propositions étaient en compétition ?
Jérémy : Tout le studio est en compétition, que l’on soit designer intérieur, extérieur… Il y a une sélection qui a lieu parmi une dizaine de propositions d’intérieur et d’extérieur.
Samuel : Par exemple pour la partie « Roues », on était trois compétiteurs soit presque la totalité du studio Prolab, qui s’occupe des optiques également. Dans les projets, nous intervenons sur l’intérieur comme l’extérieur, avec une approche plus « design produit » des objets qu’on dessine.
LNA : Comment Goodyear est-il arrivé dans le projet ?
Romain : On est parti sur un concept de pneu tellement innovant qui ne s’est jamais fait avant, et quand on a demandé à nos fournisseurs qui pouvait nous suivre, seul Goodyear avait la technicité pour construire ces roues. On en avait totalement besoin c’est pourquoi on a travaillé avec eux, main dans la main.
Samuel : On a pu trouver un vis-à-vis créatif chez eux dans leur équipe design, puisqu’ils ont un studio à part entière, qui répondait à nos ambitions en style et innovation conceptuelle.
LNA : Les roues ne sont pas tout à fait symétriques car le logo est placé de façon supérieure. Pourquoi ce choix original ?
Samuel : Vous avez raison de parler de roue en tant qu’entité, plus que de pneu et de jante. On a complètement brouillé la frontière entre les deux, avec un pneu qui s’imbrique dans la jante avec un côté très 3D, assez innovant. La partie centrale n’est pas symétrique, vous l’avez remarquée, elle est un élément à part entière qui sert d’interface numérique entre le pneu connecté, développé par Goodyear, et l’intelligence du véhicule, qui renseigne la voiture sur l’état de la route, sec ou mouillé, l’adhérence et l’usure de l’enveloppe. Ce sont des technologies qui existent déjà sous forme de concept ou de prototype chez eux, et on les utilise pour amener un peu tout ce qu’on voulait comme innovation sur cette roue. Le centre de la roue est fixe, il ne tourne pas, et cela fait un repère visuel étonnant puisqu’on relie plus facilement la partie centrale au châssis, et cela nous permet d’avoir un aspect très identitaire avec le logo toujours vertical et visible. On peut vraiment parler de concept wheel.
Romain : Ce moyeu fixe est un clin d’œil aussi au concept de la voiture qui a une cabine stable alors que les roues sont mobiles.
Samuel : Visuellement sans exagérer, je pense qu’on peut dire qu’on a réinventé la roue ! En tout cas c’était une très belle collaboration avec Goodyear.
LNA : Historiquement pourtant, Citroën est plus lié à Michelin ?
Romain : On nous pose souvent la question. Le lien est fort avec Michelin historiquement, mais on n’a pas abordé ce Centenaire de manière rétrospective. On regarde vers l’avenir et je pense que c’est à l’image des fondateurs de la marque, qui ont toujours regardé vers l’avant et qui se reconnaîtraient dans cette approche avec Goodyear, qui a le futur en tête.