La fusion PSA-FCA est intervenue presque par surprise et à une allure qui, si elle n’a pas fait flasher tous les radars automatiques de France, a largement fait crépiter ceux des appareils photos des journalistes. A présent que le rapprochement est acté (enfin disons presque) il convient de se pencher un peu sur les étapes et les conditions de cette fusion, les décisions qui sont en passe d’être prises et surtout d’essayer de savoir si cet accord est aussi avantageux pour les acteurs qu’ils se complaisent à le laisser penser.
Une (pas si) vieille histoire
Le rapprochement entre PSA et FCA n’est pas à proprement parler une surprise pour qui suit un tantinet la vie économique des grands groupes automobiles de cette planète. Inutile ici de remonter aux siècles précédents pour chercher des collaborations annonciatrices entre les marques des deux entreprises (coucou chère Citroën SM…), revenons plus prosaïquement quelques mois en arrière, en mars dernier pour être précis, lors du salon de Genève.
Le salon Suisse avait été, comme souvent, l’occasion d’une valse de rumeurs en tout genre quant aux éventuelles acquisitions/rachats/fusions/partages entre les groupes automobiles présents. Nul doute que dans les salons feutrés et discrets des rencontres entre décideurs ont eu lieues, même si elles ont été encore plus surement entreprises loin de l’agitation médiatique. A cette époque deux hypothèses circulaient en boucle dans le petit monde de l’automobile. La plus persistante était la possible reprise de JLR par PSA, et l’interview de Carlos Tavares par un média indien semblait fort valider cette solution.
C’était oublier un peu vite la première hypothèse, écartée à l’époque dans les médias mais visiblement pas par les dirigeants de PSA et de FCA. En effet, dès les premiers jours du salon de Genève la rumeur d’un rapprochement entre PSA et FCA parcourait les allées tant les propos de Carlos Tavares sur l’avenir de l’industrie automobile rappelaient ceux du défunt Sergio Marchionne. On n’écartait d’ailleurs aucune possibilité à l’époque, en particulier chez PSA, mais on évoquait tout de même bien plus la possibilité d’un rachat que celle d’une fusion.
Renault Out, PSA In
Las, l’idylle naissante semblait tourner au vinaigre. La proposition du français était éconduite assez sèchement par l’italo-américain et, un peu à la surprise générale, on découvrait au mois de mai dernier que si un mariage devait avoir lieu avec FCA il se ferait non avec le félin mais avec le losange. S’en suivait une dizaine de jours épiques où rebondissements et accusations moyennement glamours sur fond de relation à trois pas tout à fait clair (et de scandale Ghosn, histoire de pimenter) faisaient finalement capoter assez lamentablement une fusion Renault-FCA qui ne semblait de toute façon guère favorable au français.
De cette aventure le groupe italo-américain était sorti la tête plutôt haute, se plaisant à jouer la victime d’un État français frileux, accusé de ne pas saisir la chance inespérée de faire alliance avec un groupe automobile aussi prestigieux que FCA. Pour autant, difficile d’affirmer que la situation était si reluisante pour FCA, sa position de demandeur de la fusion le mettant finalement en situation de fragilité. Une situation qui, selon toutes les apparences, est la même aujourd’hui avec PSA, le demandeur étant une fois de plus FCA, à la recherche urgente (vitale ?) d’un partenaire. De quoi dès lors s’interroger à nouveau sur les finalités et les intérêts réels pour l’un et l’autre groupe d’une fusion PSA-FCA. Surtout quand on sait que les propositions de rachat par PSA se sont poursuivies durant l’été et que le désaccord était alors complet, des informations évoquant même une rencontre fort peu amène entre Carlos Tavares et John Elkann.
PSA-FCA : les forces en présence
A priori les deux groupes ne sont pas exactement dans la même position à l’heure actuelle. Si PSA a connu des heures sombres et est finalement passé assez près de la catastrophe il y a seulement quelques années, c’est aujourd’hui un groupe qui affiche une assez remarquable santé grâce notamment à des succès stratégiques peu évident (intégration d’Opel), des succès commerciaux indéniables (Peugeot 3008) et une recomposition des marques et des gammes assez cohérente. Cela ne doit pas masquer le fait que PSA doit toujours faire face à de nombreuses difficultés : résultats désastreux en Chine, émergence bien laborieuse de la marque DS Automobile, adaptation complexe aux sévères normes européennes ou encore taille du groupe un peu juste et géographiquement trop centré sur l’Europe pour garantir un avenir pérenne.
De son côté FCA apparait toutefois dans une situation bien plus critique. A la recherche d’une alliance depuis de longs mois le groupe fait même figure de « grand malade » de l’industrie automobile mondiale. Même si l’image est sans doute exagérée il n’en reste pas moins que FCA est un ensemble aux résultats mitigés. Globalement le portefeuille des marques européennes est en difficulté, Fiat est trop dépendant de sa 500, Alfa Romeo souffre du manque de moyens qui lui est accordé pour retrouver son lustre d’antan, c’est assez délicat pour Maserati également et il n’est peut-être pas nécessaire de se faire du mal en parlant de Lancia… De l’autre côté de l’Atlantique c’est en revanche un peu mieux, non avec Chrysler dont le plan produit peine à se renouveler mais en particulier grâce à la pépite Jeep. Cependant, le constat d’échec en Chine est hélas le même que pour PSA.
Intrinsèquement, un rapprochement entre les deux groupes apparait toutefois relativement complémentaire, aussi bien d’un point de vue géographique, Carlos Tavares cherchant depuis de long mois à réaliser un retour de ses marques aux États-Unis (mais on se demande tout de même comment justifier une arrivée de Peugeot sur ce territoire si la fusion se réalise), que d’un point de vue technique : le groupe FCA possédant des motorisations et un savoir-faire en 4×4 dont PSA ne dispose pas tandis que ce dernier pourrait apporter son expertise dans les petites motorisations mais aussi l’hybridation et même l’électrique.
PSA-FCA : quel accord ?
Les choses se sont donc accélérées ces deux derniers jours avec le feu vert donné par les conseils d’administration des deux groupes pour poursuivre les négociations en vue d’une fusion 50/50. Nous resterons à ce propos prudent puisque la fusion en elle-même n’est pas encore réalisée et qu’il n’est absolument pas inimaginable qu’un ou plusieurs points d’achoppement viennent faire capoter les tractations. Ces dernières sont néanmoins bien avancées et les modalités de la fusion se dessinent de plus en plus clairement.
Très officiellement, à l’heure où ces lignes sont rédigées, la décision qui est annoncée et qui se prépare est celle d’une fusion à 50/50. Le conseil d’administration de la nouvelle entité à venir serait composé de 5 membres PSA et 5 membres FCA plus Carlos Tavares, ce qui donnerait donc un léger avantage au groupe français. Mais ce déséquilibre serait compensé par le fait que Carlos Tavares ne serait que le DG de l’entreprise et qu’il aurait au-dessus de lui John Elkann (et la famille Agnelli) qui serait donc le président de ce conseil. Précisons cependant que Tavares aurait obtenu la garantie de pouvoir diriger ce nouveau groupe pour au moins cinq ans. Pour des raisons de neutralité (mais surtout pour des raisons fiscales plus qu’évidentes…) le siège de la nouvelle entité sera installé aux Pays-Bas.
Problème central d’une fusion à 50/50, elle ne peut avoir lieu si le déséquilibre entre les deux capitalisations est trop important ce qui est le cas entre les deux entreprises. Le problème était identique avec Renault, mais dans l’autre sens, et c’est ici le poids de PSA, supérieur à celui de FCA, qui rend nécessaire la réalisation d’un accord permettant de compenser la perte potentielle des actionnaires si une fusion « simple » était réalisée. Il faut également tenir compte de la politique boursière de FCA qui distribue des dividendes à ses actionnaires dans des proportions sans équivalent chez PSA.
Pour parvenir à un échange des actions à 50/50 qui soit égalitaire les deux groupes vont donc également procéder à quelques opérations boursières qui pourraient ne pas être sans conséquences. Du côté de FCA on s’apprête à verser un dividende exceptionnel de 5,5 milliards d’euros aux actionnaires ainsi que les parts possédées dans l’entreprise Comau (un fabriquant italien de robots et de machines-outils pour l’automobile). En contrepartie PSA cèderait ses parts de l’équipementier automobile Faurecia pour un montant d’environ 3 milliards d’euros. Une annonce qui inquiète déjà chez Faurecia. On rajoutera encore que les gros actionnaires que sont Exor, l’État français (via Bpi France) et la famille Peugeot verraient leur participation incessibles pendant trois ans mais que la famille Peugeot pourrait néanmoins racheter une partie des parts de Dongfeng ou de l’État. Une situation qui laisse présager des tractations très stratégiques dans les mois qui viennent. Ces dernières pourraient cependant être soumises à des règles (encore à déterminer) qui pourraient les limiter. Signalons encore que le système des votes au sein du conseil d’administration n’est pas totalement fixé.
Et maintenant ?
Si cette fusion se réalise, ce qui semble être en bonne voie, le nouveau groupe qui en émanerait pèserait 8,7 millions de véhicules dans le monde. De quoi le placer en quatrième position du classement mondial et surtout lui donner les moyens de mieux se positionner dans la rude compétition industrielle que se livre le secteur automobile. Une compétition qui suscite naturellement un peu d’inquiétude chez les salariés qui redoutent déjà que la synergie annoncée (prévoyant 3,7 milliards d’euros d’économies annuelles) ne se fasse au détriment de l’emploi. Si les dirigeants des deux groupes ainsi que les états français et italien se sont montrés rassurant sur ce point (donnant au passage leur feu vert à la fusion) en affirmant qu’il n’y aurait pas de fermeture d’usine, il semble néanmoins que les craintes des salariés ne soient pas dissipées et qu’il faudra sans doute attendre un peu avant de voir les conséquences structurelles du rapprochement.
Alors Lion bolognaise ou burger de félin ? Il est pour le moment bien difficile de répondre catégoriquement à la question même si les apparences font toutefois ressortir une certaine sensation de satisfaction plus marquée côté italo-américain que côté français. Les analystes sont pour beaucoup assez confiants mais restent aussi critiques et assez partagés. Certains n’hésitent pas à affirmer que si c’est un partenariat satisfaisant pour FCA il l’est cependant nettement moins que s’il s’était agit de Renault. Les marchés financiers ont d’ailleurs assez nettement exprimé leur perception de la fusion en valorisant hier le titre FCA tandis que celui de PSA perdait près de 13 %. Mais d’autres observateurs y voient en fait un vrai rachat de FCA par PSA (le conseil d’administration penchant effectivement du côté PSA) ce que confirmerait la baisse de l’action PSA qui ne serait qu’un simple rééquilibrage logique. Si l’action PSA est aujourd’hui de retour dans le vert il n’en subsiste pas moins que les investisseurs, en attendant de voir, penchent plutôt vers Milan et Detroit. Charge peut-être à un Carlos Tavares dont on connait les coups d’éclats et la ténacité de les faire mentir…
Sources : AFP, BFMbusiness, Les Echos, Le monde, Challenges