Trois ans déjà ! Trois ans que Pierre Leclercq est arrivé à la tête du style Citroën. Nous nous en souvenons, nous l’avions croisé pour la première fois à son salon « national », celui de Bruxelles 2019, avant de l’interviewer deux mois plus tard à celui de Genève, alors que Citroën présentait le concept-car Ami. Nous nous retrouvons en 2022 alors que les deux premiers projets qu’il a dirigés arrivent enfin en production : le C5 Aircross et la C4 X. L’occasion d’en savoir plus sur les orientations que le Pierre Leclercq et ses équipes poursuivent pour imaginer les lignes des nouvelles Citroën.
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Le Nouvel Automobiliste : Bonjour Pierre Leclercq. Nous découvrons aujourd’hui la C4 X qui est un projet qui avait été planifié avant votre arrivée à la tête du style Citroën, mais que vous avez pu diriger.
Pierre Leclercq : Tout à fait, et comme le C5 Aircross restylé, c’est Sylvain Henry qui a imaginé les grandes lignes de cette C4 X. C’était une silhouette qui était en effet planifiée à l’origine du programme C4, qui a commencé un petit peu plus tard, la C4 venait d’être terminée. En termes de timing, ça a commencé quand je suis arrivé et nous l’avons faite assez rapidement avec Sylvain.
LNA : Est-ce que vos inspirations sont volontairement venues du monde du fastback ou est-ce que c’est la silhouette haute de la C4 qui a provoqué la nécessité de cacher la malle dans le profil de la voiture ?
Pierre Leclercq : Clairement, notre but était d’amener une voiture la plus différenciante possible d’une C4. On connaît la C4, c’est un petit objet super dynamique, déjà, avec les quatre roues aux coins. Ici, la C4 X ajoute 25 cm pour en faire un objet différent en termes de prestations, avec un coffre énorme. Je pense que dans l’univers de la concurrence des berlines limousines qu’on avait identifié, nous, côté style, nous avions envie d’en faire un modèle plus excitant. Cela signifie qu’il soit plus aéro, plus dynamique, plus élégant, d’où cette silhouette vraiment « stretched ».
Pour la section arrière, cela commence dès le pare-chocs et ce qu’on fait, c’est qu’on a vraiment incliné toute la malle arrière, ce qui donne cet effet de « poussée » à la silhouette, qui contribue vraiment à la dynamique assez unique de la voiture. Cela s’ajoute aux feux qu’on tire au maximum en créant un angle un peu différent entre la lunette et le coffre. De cette façon, ça la situe dans un territoire qui n’est pas juste une limousine, ni juste un fastback, c’est un peu entre les deux.
LNA : Et en termes d’aérodynamique, ça semble plus « simple » que la C5 X qui multiplie les artifices, comme l’aileron caché sur le pavillon ou la queue de canard, pour garantir la stabilité ?
Pierre Leclercq : C’était une intention ferme pour cette voiture-ci de la traiter de façon pure et simple. Par rapport à une C4 qui, en vue arrière, a un spoiler noir, une vitre en deux parties, des feux assez uniques et disruptifs, là nous voulions avoir quelque chose de plus pur avec beaucoup plus de couleur carrosserie. Ça contribue un peu aussi au statut de la voiture qui est important dans tous les marchés où on veut la vendre. Et puis, un feu en une seule pièce, extrêmement clair et cohérent avec l’avant, ça marche.
A l’avant, en fait on a des DRL qui créent un triangle dans le coin de la voiture ; à l’arrière, le feu supérieur qui est le plus à l’extérieur possible est extrêmement allongé. Cela donne deux lignes de feux qui créent un triangle cohérent avec l’avant, avec la meilleure technologie. Cela peut paraître simple pour certaines marques, pour nous ça ne l’est pas toujours et ici nous avons des LED pour toutes les fonctions, qui donnent un effet très propre et homogène.
LNA : Les jantes sont reprises de la gamme C4, c’est par commodité ou ce n’était pas justifié d’en créer de nouvelles ?
Pierre Leclercq : Il n’y avait pas de nécessité de renouveler le genre, ce n’était pas du tout une priorité dans le programme. Elles fonctionnent très bien en style, et ce sont des jantes d’une efficacité aérodynamique et sonore incroyable.
LNA : Dans votre parcours, c’est la première fois que vous réalisez un projet d’adaptation en berline d’une silhouette existante ?
Pierre Leclercq : C’est une bonne question : non, je n’en avais jamais fait avant. C’est sympa comme projet car on ne s’est pas trop posé de question. Nous sommes partis avec Sylvain (Henry), avec l’idée de faire une voiture la plus excitante possible, et puis ça a été relativement vite mené, avec une bonne équipe d’ingénieurs, une bonne équipe projet, et voilà !
LNA : En termes de temps, consacre-t-on plus de temps à un restylage comme celui du C5 Aircross ou à cette C4 X ?
Pierre Leclercq : C’est à peu près le même timing, avec un peu plus de travail et d’architecture sur la C4 X quand même en termes d’aérodynamique. Ce sont des volumes qui ne sont pas sur la voiture d’origine qu’il faut créer alors que le C5 Aircross, ce sont des pare-chocs, de nouveaux phares, un intérieur… Sur la C4 X aussi on a ajouté des spécificités à l’intérieur avec des sièges un peu plus inclinés pour amener plus de confort. Bien sûr, sur le C5 Aircross on avait l’Advanced Comfort sur tous les sièges ainsi que toutes les couleurs et matières, mais en termes de géométrie c’est quand même plus conséquent sur la C4 X.
LNA : Vous parlez de couleur : la C4 X sera proposée en rouge Elixir, une première depuis les C5 II de la fin des années 2000 et qui nous change des nuanciers tristes !
Pierre Leclercq : Sympa n’est-ce pas ? Une Citroën, on devrait la voir de loin, donc c’est bien d’avoir pu amener une couleur dans la gamme.
LNA : Mais ça n’aurait pas été possible de lui donner le même Metallic Copper cuivré que la C4 ?
Pierre Leclercq : Je pense que c’est bien d’avoir des couleurs comme cet orange pour la C4 mais clairement, ici, nous voulions aller dans une autre direction. C’est une voiture plus statutaire que C4, de par sa silhouette. Dans un nombre de couleurs relativement limité, on a 2 blancs, 2 gris, 1 noir, et 1 rouge ce qui est très bien et ce sont des choses qui vont évoluer.
LNA : L’intérieur en termes de couleurs et matières est marqué par l’arrivée de l’Alcantara. Original pour un modèle qui ne veut pas sportif pourtant ? Et que même la C5 X n’a pas pu avoir ?
Pierre Leclercq : C’est quelque chose qu’on a amené sur la C5 Aircross Shine Pack, et c’est pour moi un matériau qui a tout son sens pour Citroën. Ça a toujours une connotation assez sportive l’Alcantara, mais je ne vois pas pourquoi en fait ! L’Alcantara, c’est le chic façon Lancia, quelque chose de très doux, de très cosy, qui nous va parfaitement avec l’Advanced Comfort.
LNA : On remarque toujours le jeu des trames en chevrons présentes à bord, dans les coutures, dans les feux aussi…
Pierre Leclercq : Oui on essaie de s’amuser avec ce genre de détails de type 2e lecture / 3e lecture, qui sont volontaires. On doit amener une structure pour donner de la lisibilité, alors tant qu’à faire, autant porter notre histoire avec.
LNA : Que dire du plan produit pour les années à venir ? Est-il bien chargé ? Citroën va bien vivre, notamment en 2023 ?
Pierre Leclercq : Ecoutez, on a toujours beaucoup de projets et c’est bien, des projets qui passent, d’autres qui ne passent pas, et d’ailleurs c’est notre rôle aussi de pousser vers des choses dans lesquelles nous croyons et qui ne sont pas nécessairement inscrites. Mais ce qui est bien chez Citroën, c’est qu’on ne dit jamais au début d’un projet : ‘Allez, on va refaire l’ancienne’. On essaie toujours de repenser, avec quelque chose d’assez disruptif, et c’est quelque chose de très propre à la marque et que j’aime bien.
LNA : C’est même risqué puisque la concurrence capitalise sur des designs figés dont ils ne sortent que rarement. Passons à l’Ami Buggy, produite à 50 exemplaires qui se sont arrachés, on est encore surpris qu’elle soit produite ! Le design a été moteur pour obtenir cet arbitrage ? Y en aura-t-il d’autres ?
Pierre Leclercq : Je crois vraiment que c’est le design qui a poussé oui. C’est le genre de projet qu’on a essayé en concept, et à chaque fois qu’on l’a montré il était convaincant. Alors mince, faisons-le ! Et on verra la suite.
LNA : Quels sont les réactions de celles et ceux qui découvrent la C4 X ?
Pierre Leclercq : Souvent le mot qui revient, c’est ‘surprenant’. Il faut voir la voiture plutôt de 3/4 mais parmi les feedbacks, entendre « surprenant » c’est pour moi toujours le meilleur compliment qu’on puisse avoir. Un peu comme C5 X : quand la presse l’a découverte en avant-première, les commentaires étaient souvent autour de ‘Tiens, c’est quoi ça ?’. Et pour nous, c’est génial ! Si vous ne voyez pas vous, journalistes ou professionnels, ce que c’est, c’est qu’on amène bien quelque chose de différent sur le marché. Et c’est toujours le but de Citroën de disrupter un petit peu.
LNA : Un but ou parfois un chemin trop compliqué pour réussir ? N’y aurait-il pas eu intérêt à prolonger une silhouette existante ou, si la C4 n’avait pas eu une silhouette haute, penser cette berline de façon plus classique ?
Pierre Leclercq : Avec 14 marques dans le groupe Stellantis, je pense qu’on peut prendre des risques. Moi je suis content de travailler pour une marque qui est prête à prendre quelques risques.
LNA : L’arrivée de Citroën sur le marché indien depuis 2019 provoque-t-elle une réflexion en interne sur l’adaptation des produits à ces nouveaux clients, ou est-ce qu’au contraire vous pensez que les Indiens vont rejoindre des goûts similaires à ceux qu’on a en Europe à l’image des SUV ?
Pierre Leclercq : Moi ce que je peux dire, c’est qu’en quelques années, entre la première fois où je suis allé en Inde et la dernière fois, c’est-à-dire la semaine dernière, j’ai vu les mentalités évoluer énormément. Typiquement en termes d’écrans, de digitalisation, de leurs souhaits de prestations dans les voitures… tout a évolué. Leurs goûts ont évolué très vite vers des goûts assez « mondiaux » : ils ont envie de chouettes petites voitures, de beaux designs qu’ils comprennent, et il faut aller se positionner avec les bonnes prestations au bon prix.
LNA : Au point d’avoir l’impression que l’évolution du marché chinois en 15 ans se retrouve, avec un léger écart, sur le marché indien ?
Pierre Leclercq : C’est ça, c’est comme ça que le marché chinois a évolué. Il y a évidemment quelques spécificités culturelles mais je pense et moi je crois vraiment dans un certain goût universel, c’est pour ça que je crois aussi dans un ADN de marque unique, ça m’ennuierait vraiment de faire des voitures uniques pour un tel ou un autre… L’ADN de Citroën change, très vite, mais quand on arrive à un plan produit à un Instant-T, ce qui sort aura le dernier ADN de la marque, que ce soit en Inde, en Europe, ou en Amérique latine.
LNA : Merci Mr Leclercq.