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Talbot Horizon

Talbot Horizon : la world car de l’ancien monde

Talbot Horizon

Il y a un demi-siècle, le monde, pourtant pas maniaco-dépressif, était bipolaire. Le tiers-monde ? Il n’était pas alors perçu comme une opportunité de développement à une époque où l’Occident connaissait encore la croissance forte et l’assurance de ceux qui n’ont jamais eu un genou à terre. Etre mondial ? Avouez que ladite notion devenait soudain plus restreinte à cette époque où les BRIC étaient négligés, où le Japon était un marché des plus protectionnistes et où le monde soviétique était peu perméable au regard extérieur, loin de la fascination du temps des tsars, du Prince Igor et des danses polovtsiennes.

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C’est dans ce monde qu’est imaginée la Simca Horizon, destinée à devenir la voiture mondiale de Chrysler. Un monde finalement composé de l’Europe de l’Ouest et de l’Amérique du Nord. Mais un monde quand même.

Répondre aux attentes du monde

Durant les 30 Glorieuses, Chrysler n’est pas, à l’image de GM et Ford USA, particulièrement au fait du développement d’une voiture compacte. D’ailleurs, en Amérique du Nord, en dehors que quelques importations de modèles Simca fédéralisés (1000, 1100…), Chrysler ne compte que de grandes voitures dans sa gamme. Des Simca ? Tout simplement parce que Chrysler est devenu actionnaire majoritaire du constructeur français en 1963 en ayant progressivement acquis les parts que détenaient Ford et Fiat dans l’entreprise pisciacaise. L’américain ne se contente d’ailleurs pas de sa base française, il a également mis la main sur Barreiros en Espagne ainsi que le groupe Rootes en Grande Bretagne. Si, dans un premier temps, les américains laissent leurs filiales européennes se gérer indépendamment, ils viennent rapidement à la conclusion qui semble s’imposer d’elle-même : des synergies seraient les bienvenues. Alors qu’à Poissy, l’usine parvient à tirer son épingle du jeu en dépit d’un sous-investissement chronique de la part du nouveau propriétaire, la situation est toute autre au pays de Sa Gracieuse Majesté. Rootes perd de l’argent et sa gamme manque d’attrait. La firme au Pentastar joue la concorde et tâche de faire travailler ses bureaux anglais et français de concert. Un premier programme voit le jour, donnant naissance à un produit peu convaincant : la Chrysler 160/180. Faute de succès, sa production finira prématurément transférée vers le site madrilène afin de laisser place à un programme ambitieux (projet C6) dont le style a été piloté par les anglais et l’ingénierie par la France : la Simca-Chrysler 1307/1308/1309 (Chrysler Alpine Outre-manche). Voiture de l’année 1976, ce développement conforte Chrysler Europe dans ses choix visant à définir sa voiture compacte, remplaçante de la Simca 1100. C’est en 1974 que démarre le projet C2, petit frère du projet C6 dans la philosophie. A une différence notable : dès les premiers choix de style, il a été décidé que la voiture serait également destinée au marché Nord-américain. Véhicule mondial ? On y vient.

D’ailleurs, pour satisfaire les exigences américaines de garde au sol et de débattement des roues, les passages de roues semblent surdimensionnés (et ces dernières n’étaient pas bien grandes à l’époque). Curt Gwin, designer en chef du projet C2, affirmait d’ailleurs bien volontiers que les ailes avaient originellement de meilleures proportions. En dehors de cet aspect, c’est un profil bicorps assez moderne qui émerge des études et autres maquettes, assez en phase avec un nouveau canon esthétique de chez Giugiaro : la VW Golf, rivale désignée du projet C2. Avec ce programme, Chrysler espère prendre de court ses rivaux de Détroit avec une compacte moderne, apte à lutter contre les japonaises et encline à satisfaire le futur durcissement de la législation américaine concernant la consommation des véhicules. Il s’agit aussi du développement de la première traction populaire américaine, c’est vous dire le retard pris de l’autre côté de l’Atlantique sur ce dernier point. En effet, en dehors de quelques véhicules élitistes (Cord 810, Oldsmobile Toronado…), les voitures américaines étaient généralement des propulsions. Et généralement avec de vilains ponts rigides et des ressorts à lames. Ce peuple a été capable de marcher sur la Lune avant de savoir suspendre ses voitures, qu’on se le dise. Mais revenons à notre projet C2, prévu notamment pour l’usine de Poissy… comme la Citroën C2 quelques années plus tard, hasard de l’Histoire. Outre la déclinaison bicorps, un tricorps est également étudié puis rejeté, faute d’un style équilibré (et de ressources ?). Quoi qu’il en soit, la remplaçante de la Simca 1100 est dans les starting-blocks. Et l’Europe a la primeur du lancement, la fabrication démarrant à Poissy.

Ancien monde

Présentée en octobre 1977, la Simca-Chrysler Horizon de son nom complet se lance dans la bataille des compactes. Traction, bicorps à hayon, elle partage sa formule avec plusieurs de ses rivales que sont les VW Golf, Renault 14 ou Fiat Ritmo. La gamme de lancement comprenait trois versions : les LS et GL, équipées du moteur Poissy 1 118 cm³ (55 et 59 ch), ainsi que la GLS, motorisée par le Poissy 1 294 cm³ de 68 ch. Il s’agissait de blocs issus de la bonne vieille 1100 et pas forcément réputés pour leur agrément. La voiture innovait en 1978 par l’apparition d’un ordinateur de bord monté de série sur le niveau SX. L’ordinateur de bord ? Vous savez, cet équipement que Renault n’était pas fichu de proposer sur ses diesels avant l’an 2000 et le lancement de la Laguna II. C’est d’ailleurs durant la décennie 2000 que ce gadget s’est réellement démocratisé en Europe. L’Horizon se permettait ainsi une sympathique avance sur la concurrence… jusqu’à ce que Renault ne dégaine la totale avec ordinateur de bord et synthèse vocale à l’époque des R11 et Encore Electronic, à l’instrumentation digne de Tron.

N’oublions pas qu’à l’époque, l’an 2000 tenait à la fois du fantasme et du futur, tandis que nos ennemis avaient le bon goût de stimuler la conquête spatiale plutôt que de décapiter des gens. Le bon vieux temps, quoi. Et en parlant du passé, la Simca-Chrysler Horizon a été élue voiture de l’année 1978. Un bon cru pour les talbotistes ? C’est, en effet, en 1978 que Chrysler, alors en pleine tourmente, revend ses activités européennes à PSA qui a été plus ou moins incité à les reprendre par l’Etat français. Le groupe sochalien récupère ainsi l’usine de Poissy, celle de Ryton en Grande-Bretagne ainsi que Villaverde, près de Madrid (qui produit actuellement la Citroën C4 Cactus). La corbeille de la mariée comprenait également une présence industrielle en Iran, le Lion pouvant désormais sortir ses griffes au pays du Shah. PSA hérite par là-même de la Chrysler 1307, de cette Horizon et du futur projet C9 qui deviendra la Tagora. Mais que faire de la marque, ne pouvant pas exploiter le nom Chrysler ?

On déterre alors Talbot, marque dormante du portefeuille de Simca. A partir d’août 1979, les voitures arborent logiquement… trois badges ! Oups. La calandre présente toujours un Pentastar Chrysler, le capot dispose désormais d’un monogramme Talbot tandis que le hayon est fièrement frappé des lettres Simca. Débrouillez-vous… Ce n’est qu’à partir du millésime 81 qu’un logo Talbot apparaît pour remplacer le Pentastar tandis que le monogramme de la marque au T remplace celui de Simca. La voiture en profite pour disposer de quelques améliorations, notamment d’une protection contre la corrosion un peu moins mauvaise. Une boîte 5 vitesses PSA (la BE, modernisée mais toujours produite de nos jours !) apparaît en haut de gamme tandis que le diesel XUD PSA vient élargir l’offre. A compter de 1980, Ryton complète la production française, tandis que Madrid suit peu de temps après. Il reste un autre site de fabrication en Europe : la Talbot Horizon a également connu une production finlandaise chez Valmet, dans une usine qui a également produit des Saab (jusqu’au cabriolet 9-3), des Porsche Boxster ou des… Lada ! Les Horizon finlandaises se distinguent par une meilleure protection contre la rouille ainsi que des éléments empruntés à Saab et une architecture électrique spécifique. Tout un programme.

Mais en Europe, la marque Talbot a bien du mal à s’en sortir : les volumes de ventes sont constamment à la baisse, l’intégration de la marque dans le réseau Peugeot n’est pas des plus simples et les clients se détournent volontiers de cette « nouvelle » marque un peu floue. La remplaçante de l’Horizon est fortement attendue par les gens de Poissy, elle partage quelques éléments avec la nouvelle Peugeot 205 : le projet C28 devait originellement devenir la Talbot Arizona. Mais contre toute attente et peu de temps avant la commercialisation, PSA décide de la badger Peugeot. C’est la 309, lancée en octobre 1985, qui marque le début de la fin pour Talbot en Europe continentale. Les égos sont mis au vestiaire : le simple fait de la nommer Talbot aurait condamné le succès commercial du véhicule. Et les gens de Poissy accueillent positivement la nouvelle. D’ailleurs, l’usine tourne encore aujourd’hui. L’Horizon termine sa production à Madrid en 1987.

Nouveau monde

L’Europe, c’est bien beau, mais après avoir abordé le compte à rebours final de l’Horizon by Simca Talbot, il serait peut-être temps que je vous narre la vie parallèle du projet C6 ; Chrysler ayant des ambitions transatlantiques mondiales pour cette voiture. Et à l’image de Patrick Juvet, l’Horizon va aimer l’Amérique. Au point d’y être diffusée sous deux marques : Dodge et Plymouth, badgée respectivement Omni et Horizon. A noter que Chrysler n’a jamais commercialisé l’Horizon sous sa marque aux USA. Produites sur site de Belvedere, le lancement du tandem a lieu en 1978 et les Omni/Horizon ressemblent fort à leur muse européenne. Pourtant, les différences sont nombreuses. Outre tout l’aspect réglementaire qui saute aux yeux (catadioptres latéraux, projecteurs sealed beam, feux spécifiques et gros pare-chocs), les portes avant diffèrent par l’abandon du gousset de rétroviseur au profit d’un élément circulaire monté sur la porte.

Côté look, les voitures font le plein de chromes et proposent même d’optionnels woodies, loin du goût européen. A bord, la planche de bord est spécifique avec, curieusement, des commandes d’HVAC placées à gauche du volant, interdisant au passager de régler le chauffage ! Beaucoup de changements en apparence, donc. Quant aux dessous, ils diffèrent également, la voiture troquant leurs barres de torsion avant pour un conventionnel train avant McPherson. Les moteurs Simca ? Trop coûteux à dépolluer, Chrysler préfère donc acheter le 1.7 VW de 75 ch qui équipe la Rabbit, appellation de la version fédéralisée de la Golf. Quoi qu’il en soit, mission accomplie pour Chrysler : leur compacte traction est sortie bien avant les rivales de GM et Ford… manque de chance, le marché des petites voitures repart à la baisse à la fin des années 70. Et le reste de la gamme du Pentastar est vieillissante. Du coup, les Omni et Horizon sont malgré tout les modèles Chrysler les plus populaires jusqu’en 1980. La gamme évolue régulièrement mais surtout, le duo Omni et Horizon enfante d’étranges dérivés inconnus en Europe.

En effet, Chrysler détient des droits nord-américains du véhicule, tandis que PSA dispose de même sur l’Ancien Monde. Première nouveauté en 1981, l’apparition du moteur 2.2 Chrysler pour épauler le 1.7 VW, disponible en BVM4 ou BVA3. Un exemplaire de Dodge Omni est quant à lui envoyé… à Poissy ! Il s’agit d’étudier l’adaptation d’un moteur diesel, en l’occurrence le XUD Peugeot qui équipe les versions européennes. A cette époque, le marché américain s’ouvre brièvement aux moteurs à combustion interne et le groupe au Pentastar étudie la commercialisation d’une telle version. Finalement abandonné, le prototype ne traverse pas l’Atlantique et est désormais exposé au musée de la CAAPY à côté de l’usine PSA de Poissy. En 1983, c’est le bon vieil 1.6 Simca finalement dépollué qui remplace le 1.7 VW en entrée de gamme. Tout ceci manque d’exotisme, vous me direz… Alors pourquoi pas un coupé, un pick-up ou une version sportive, pour changer ? Réjouissez-vous, ô lectorat, Chrysler vous propose les trois. Tout d’abord, en 1979, les Dodge Omni 024 [voiture de ma tante avant qu’elle ne s’achète un Ford Explorer comme la moitié du pays quelques années plus tard] et Plymouth Horizon TC3. Derrière ces barbares appellations se cache un coupé 3 portes visuellement distinct de la berline. Et à l’image de ces dernières, il s’agit de clones, simplement rebadgés. Pour relancer la carrière du coupé, Dodge est allé jusqu’à le renommer Charger. Le mythe en prend pour son grade…

Et puisque nous sommes aux USA, notre brave Talbot Horizon se voit flanquée d’une lointaine cousine américaine à benne : les pick-up Dodge Rampage et Plymouth Scamp sont nés ! Leur carrière a cependant été courte, le temps de 3 millésimes entre 82 et 84. Enfin, Shelby se charge de dynamiser la compacte américaine en lui offrant plusieurs dérivés sportifs, basés sur la Dodge Omni GLH [stood for Goes Like Heck… true fact]. Les versions Shelby GLH/S [Goes Like Heck S’more…] ont eu recours au 2.2 cette fois turbocompressé et associé à une BVM5, développant 175 ch. Les 1000 derniers coupés Charger ont été achetés par Shelby pour devenir des Charger GLH/S en 1987.

A partir de 1985, Chrysler passe un accord avec AMC, alors détenu par Renault pour occuper les lignes de production de Kenosha en y introduisant les Omni et Horizon aux côtés des Renault Alliance. Le site devient l’unique site de fabrication des petites Chrysler nées Simca à partir de 1987 lorsque Chrysler acquiert AMC (et Jeep). Curieusement, en 1990, le constructeur américain se paie le luxe de développer un airbag conducteur et une nouvelle planche de bord… pour une seule année de commercialisation, la production s’interrompant à la fin de ce millésime.

World car qui s’ignore

L’Horizon devait être une voiture mondiale, la postérité ne lui accordera peut-être pas ce statut après que ses parents américains l’aient placé en foyer d’accueil dans une famille sochalienne. A défaut de marquer son segment en Europe, la voiture a connu une histoire peu banale, 5 marques différentes (dont 3 apposées simultanément en Europe !) et des dérivés assez inattendus. Après 870 000 exemplaires européens et 960 000 unités sorties des chaines américaines, les Horizon et dérivés tirent leur révérence dans des contextes différents. Aujourd’hui, Chrysler appartient à Fiat et a bien des difficultés à écouler la Dodge Dart, sa compacte tandis que Plymouth n’existe plus. Talbot a fini par disparaitre d’Angleterre en 1994 au lancement du Peugeot Boxer et l’Horizon n’est plus qu’un vague souvenir de part et d’autre de l’Atlantique. Mais bon, ça vous aura occupé en cette fin d’automne.

Sans oublier que l’Horizon a fait un peu de pub sous deux marques différentes ce qui est plutôt rare pour un même modèle :

Et même avec le fameux moteur diesel PSA 1.9 L qui fera une petite carrière chez Talbot mais une belle chez Citroën et Peugeot.

Via ARonline, Wikipedia, ClubHorizon, Forum Talbot, Youtube.

Sujet rédigé à l’aimable demande du sosie de Ramzan Kadyrov et avec en fond sonore les chansons de Robert Palmer (il officiera plus tard pour Renault et ses fameuses voitures à vivre mais cela est une autre histoire). 

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