Le Nouvel Automobiliste
Trabant 601

30 ans de la chute du Mur de Berlin à travers l’Histoire de la Trabant

Automne 1989 : après de nombreux jours de tensions et de manifestations populaires, la colère des habitants de la RDA s’amplifie : les idéaux socialistes sont sans cesse trahis, le peuple gronde. La Hongrie ouvre sa frontière avec l’Autriche et nombreux sont les allemands de l’Est qui en profitent pour fuir à travers la Tchécoslovaquie puis la Hongrie.

9 novembre 1989, le Politbüro de la RDA permet à ses citoyens de quitter le pays sans autorisation spéciale : la frontière s’ouvre, des milliers de berlinois de l’Est franchissent Checkpoint Charlie ; le Mur de Berlin tombe au bout de quelques heures devant des gardes-frontières dépassés et, bien malgré elle, la Trabant se retrouve propulsée en symbole de l’Histoire.

9 novembre 2019, on vous offre un petit morceau d’Histoire : on essaie la Trabant 601 d’un aimable collectionneur qui nous fait la joie de nous faire partager son mythe automobile. Avant de passer à l’essai de la voiture dans un second article (et même un troisième, d’ailleurs), on se propose d’en retracer la carrière.

Trabant Berliner Mauer

Proletarier aller Länder, vereinigt Euch ! (un peu d’histoire)

Au sortir de la Seconde Guerre Mondiale, une partie de l’industrie automobile allemande se trouve côté Est, dans les länder de Saxe et de Thuringe. Un peu contraignant pour les entreprises basées à l’Ouest. En effet, BMW qui a rapatrié son activité automobile en Bavière, sera un temps confronté à une concurrence issue de ses anciennes usines d’Eisenach à l’Est qui produisent d’anciennes BMW vendues sous le nom… BMW ! Les voitures seront renommées EMW en 1952 suite au procès que gagne le bavarois et finiront par perdre leur calandre originale au fil des ans. Du côté de Auto Union, l’usine de Saxe produit un petit modèle à traction avant. Les entreprises de construction automobiles sont alors regroupées sous le sigle IFA (Industrieverwaltung Fahrzeugbau : administration de l’industrie automobile). Comme dans beaucoup de républiques socialistes (communistes) d’alors, les entreprises doivent se conformer aux décisions gouvernementales. Et pour remplacer la petite IFA F8, le Conseil des Ministres de RDA fixe un cahier des charges précis dès 1954 pour le futur véhicule P50

Vous la voyez venir ? Pas si vite, en fait : les bureaux de recherche de l’ex site Auto Union préparent en parallèle un projet plus réaliste, P70, visant à moderniser la F8 sous une carrosserie au goût d’alors. Les autorités acceptent, à condition de poursuivre le développement de la P50. La P70 innove alors avec une carrosserie toute nouvelle par la forme comme par la technique. Exit l’acier ou l’aluminium, place au Duroplast, matériau composite à base de résidus de coton et de résine phénolique. Léger et insensible à la corrosion, il est indestructible… et pas recyclable : il survivra au communisme ! En novembre 1957, une directive ministérielle annonce la fusion en une seule entité des anciennes usines Audi, rebaptisées AWZ (Automobilwerk Zwickau) et Horch, qui ont désormais pris le nom de Sachsenring (en hommage au célèbre circuit saxon). Effective à partir du 1er mai 1958, cette nouvelle entreprise s’appelle VEB Sachsenring Automobilwerk Zwickau, et a pour ambition d’augmenter sensiblement les volumes de production de la RDA. Cette même année, sort la première Trabant, « satellite » en langue de Bertold Brecht, petit nom de la P50 : l’objectif de la RDA est atteint. Et les ambitions sont grandes, la remplaçante déjà est sur les rails. La fameuse Trabant 601 sort en 1964 et entrera dans la légende.

Dérivé fortement modernisé des P50 et P60, la Trabant 601 est ainsi dévoilée en mars 1964 pour une commercialisation en juillet et annonce de grandes nouveautés pour Sachsenring. D’une part, la voiture progresse sur de nombreux plans à l’image des vitres descendantes, de sa visibilité accrue, de son habitabilité en nette amélioration, sans parler de sa ligne dans l’air du temps d’alors. D’autre part, le procédé de fabrication progresse abaissant le temps de fabrication de la voiture de 60%, ramenant le nombre d’heures à 70 : les panneaux de carrosserie en Duroplast souffraient initialement d’un temps de cycle de 10 heures  pour sortir une pièce, un effort a aussi été fait de ce côté. Avec une fiche technique plutôt dans l’air du temps et la promesse de plus fortes cadences, les allemands de l’Est peuvent décemment rêver à devenir massivement motorisés. La gamme s’étoffe dès 1965 avec le break, Universal, et avec la version Hycomat à boîte automatique. Un Kübelwagen militaire arrive par la suite, décliné en une version VP appelée Tramp. Pas super.

La suite ? Ca va être long… Contrairement aux modèles qui l’ont précédée, la Trabant 601 va être victime de plusieurs facteurs conduisant à une carrière déraisonnablement longue. Et si divers prototypes sont étudiés, aucun ne verra le jour, faute d’accord du gouvernement de la RDA. Le pays ayant besoin de devises, beaucoup d’exemplaires sont exportés vers les pays amis : c’est notamment le cas de la Hongrie, alors dépourvue d’industrie automobile (Suzuki, Audi et Mercedes ont depuis largement comblé cette lacune). Ajoutez à cela des cadences de production inférieures à celles d’un véhicule en tôle d’acier et le client allemand de la Trabant doit prendre son mal en patience. Il n’est pas rare de faire face à une douzaine d’années de délai ! Pour autant, les alternatives sont rares : les Wartburg sont bien plus chères, les véhicules importés d’autres pays alignés sur Moscou ne sont pas légion et rarement donnés. Alors il faut attendre. Les clients attendent leur voiture, l’usine attend de pouvoir changer de voiture. Tout le monde attend.

Les prototypes ne recevront jamais l’aval des autorités, mais une chose finit par se concrétiser : les pourparlers sont engagés avec VW dans les années 80 pour produire  un 4 cylindres 4 temps de Polo sous licence. Cela induit de nombreuses modifications au niveau de la baie avant et des suspensions, la Trabant 1,1 l est quasiment prête en 1989… Mais cette année-là, vous vous en doutez, il y a comme un vent de changement en RDA : les versions 4 temps ne sortent qu’au printemps 1990. Dans les semaines qui suivent, VW assemble ses premières Polo aux côtés des modèles d’IFA : l’activité est sauvée.

En effet, dans une Allemagne désormais ouverte et en cours de réunification, sur un marché où les Ostmark valent soudain autant que ceux de l’Ouest, plus personne ne veut d’une Trabant dépassée et démodée. La voiture survit péniblement jusqu’en 1991 avant que le respirateur artificiel ne soit débranché. Un dernier stock de breaks est envoyé en Turquie dans l’espoir d’y être écoulé. Il revient quelques années après, invendu et poussiéreux. 444 voitures sont alors rénovées, catalysées et commercialisées sous la forme d’une série spéciale « 444 », vendue au prix pas super amical de 6 900 Deutschemark. Elle fera un flop et le stock sera liquidé en 1996 par une chaîne de magasins. Un des exemplaires finira entre les mains de la Rockstar Udo Lindenberg dans le cadre d’une tournée.

Symbole, bien malgré elle, à la fois des idéaux d’une doctrine,  de la rigidité d’un régime comme de la chute de ce dernier, la Trabant 601 porte sur ses épaules une bonne partie de l’Histoire allemande du XXème siècle. Plutôt unique pour un produit qui s’est écoulé à 2 818 547 unités ! Aujourd’hui, « ça va mieux », les temps ont bien changé et on imagine difficilement le gouvernement d’un pays démocratique trahir des idéaux socialistes en privilégiant une poignée d’apparatchiks à l’intérêt commun et provoquer l’ire d’un peuple déçu. Non vraiment, tout ceci est derrière nous… Rendez-vous à l’église tous les lundis pour en parler ? En attendant, place à l’essai de la Trabant 601 !

Via Wikipedia, DDR Photos, der Zwickauer, et l’excellent « Voitures des Pays de l’Est » de Bernard Vermeylen.

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