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Renault SUV Austral Histoire

Le Renault Austral : 50 ans de réflexions du Losange sur le SUV

La présentation ce 8 mars du Renault Austral permet de regarder un court instant dans le rétroviseur. Plus qu’un nouveau modèle, l’Austral est en réalité l’héritier d’un demi-siècle de réflexions et de travail sur les SUV, bien avant que la catégorie ne connaisse le succès actuel. Jugez plutôt…

De la sociologie avant toute chose

Oublions un instant Paul Verlaine et parlons d’analyse de la société. Plus qu’aucun autre constructeur peut-être, Renault est celui qui a su sentir la société. La société de l’après-guerre avec la 4CV. Celle de la consommation et de l’urbanité avec la Renault 5. Celle de la famille et de la praticité, avec les monospaces. Ou encore récemment, et avec peut-être un -gros- train d’avance, les silhouettes hautes et transgenres, avec la Vel Satis en pointe d’orgue.

S’il est pourtant une tendance automobile que Renault a manquée, c’est l’incroyable essor des SUV au mitan des années 2000. Les lancements successifs du Nissan Qashqai et du Nissan Juke ont balayé les Scénic et Modus, opposant à leurs aspects pratiques un style fort et dominateur propre à séduire l’égo des clients plutôt que leur rationalité. Mais, Renault a-t-il vraiment manqué ce changement d’époque ?

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Montage : Nissan Espace 3

Années 1970 : Renault imagine (presque !) le premier SUV français

Remontons le cours de l’histoire et arrêtons-nous en 1970. Land Rover vient de lancer son Range Rover et le monde automobile est encore loin de penser que les 4×4, les tout-terrains comme on les appelle, deviendront un jour un incontournable de chaque marque, labels sportifs inclus, de Lotus à Lamborghini en passant par Ferrari. En France, la même circonspection habite les bureaux d’études : un tout-terrain, c’est d’abord et avant tout une silhouette haut-perché, utilitaire, robuste et absolument pas glamour.

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Chez Renault, la figure tutélaire est la Colorale des années 1950, disponible en berline bicorps ou en pick-up, et jamais remplacée après son arrêt en 1957. Mais il est pourtant un bureau d’études qui ne voit pas les choses de la même façon…

…et ce bureau, c’est le BEREX, le bureau d’études et de recherches exploratoires, installé à Dieppe, chez Alpine ! Eh oui, une fois l’A310 lancée, et pendant que la R5 Turbo occupe leurs journées, les ingénieurs de la marque de sport envisagent ce qui manque à Renault et imaginent une maquette, le VVA : Véhicule Vert Alpine. Sous la forme d’un bicorps très anguleux, c’est la riposte française au Range Rover britannique.

Finalement, malgré une maquette échelle 1 réalisée fin 1979, Renault ne transforme pas l’essai. Seule sa modularité se retrouvera sur l’Espace. Or, parler d’Espace, c’est parler de Matra qui, avec Simca, a fait lui aussi éclore l’idée d’une « auto verte », le Rancho, premier modèle moderne à tout faire, à sa place dans le Paris du film La Boom comme dans les chemins… même sans motricité renforcée ni transmission 4×4.

Ironiquement, le Rancho sera remplacé sur les chaînes de Romorantin par l’Espace Renault, encore lui, fruit d’une réflexion de Philippe Guédon, directeur général de Matra Automobiles de retour d’un voyage aux Etats-Unis.

Années 1980 : Renault invente le SUV moderne américain

Les Etats-Unis, justement. Ce n’est pas que le pays des vans aménagés et familiaux, qui voit d’ailleurs le concept de monospace d’abord saisi par Chrysler avec son Voyager. De son patronyme local – Town & Country, ville et campagne –, on peut d’ailleurs déjà lire en creux l’usage des futurs SUV, aussi à l’aise en milieu urbain qu’hors du bitume. Renault mise beaucoup sur les Etats-Unis dans les années 1980 : la marque vient d’acquérir le 4e constructeur local, AMC, de moderniser l’usine de Kenosha (Wisconsin) en plus d’en bâtir une nouvelle à Brampton (Ontario), et élabore une gamme complète pour s’installer résolument outre-Manche. Même l’Alpine GTA et l’Espace seront envisagés en version « spec. US » !

Mais la révolution majeure que prépare Renault pour les américains, c’est la reconversion de Jeep, marque de 4×4 purs et durs, en un label de 4×4 civilisés. Avez-vous dit SUV ? Hélas non, mais c’est bien une équipe en partie française, menée par François Castaing, qui imagine l’emblème de SUV yankee moderne, le Jeep Cherokee.

Ironie de l’histoire, c’est au moment de son lancement que Renault vend ses parts au groupe Chrysler, qui récupère coup sur coup un ingénieur génial (aussi bien à l’aise avec Jeep que le projet Viper ou la conception de Formule 1) et une cash-machine… que le Losange vendra dans son réseau, maigre lot de consolation. Est-ce à dire que Renault va retourner à la table à dessin et enfin se lancer dans le SUV dans la décennie 90 ?

Années 1990 : Renault hésite, vrai 4×4 ou premier SUV ?

L’année 1993 apporte un début de réponse : le style est « la » préoccupation majeure de Renault et autour de Patrick le Quément s’est constituée une équipe talentueuse apte à imaginer des Renault sur tous les segments : roadster avec le concept Laguna ; monospace compact avec le Scénic ; limousine V10 avec l’Initiale ; et, pour explorer le monde, un tout-terrain, le Racoon.

Ce raton laveur est ni plus ni moins que le premier concept-car 4×4 moderne de Renault. Et le moins qu’on puisse dire est que sa vision est loin, très loin des SUV. C’est un pur franchisseur, amphibie, à moteur central V6 3,0 l essence et ultra compact, puisque long de seulement 4,11 m. Innovant avec son instrumentation à affichage tête-haute, l’absence d’essuie-glace remplacé par une technologie hydrophobe à ultrasons, ou sa caméra infrarouge pour la vision nocturne, il possédait un pivot central pour passer les obstacles et fut le premier concept-car présenté en images de synthèse.

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Au même moment dans la gamme, Renault propose des 4×4. Enfin, des 4 roues motrices, avec la transmission Quadra, sur les Safrane et Espace notamment. Ce dernier, photographié dans la neige, passerait lui aussi pour l’ancêtre des SUV. Matra ne s’y trompe pas et propose à Renault une version baroudeuse de l’Espace, le projet P40. Mais hélas, Renault regimbe : le succès commercial n’est pas assuré, la marque a besoin de rentabilité, alors la transmission Quadra disparait et l’Espace III sera un simple 4×2.

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Photo : Wheels and Co

Tout aurait cependant pu changer en 1999. Le sauvetage de Nissan par Renault laisse très vite imaginer des modèles nippons adaptés et vendus par le Losange. Quelle est la grande spécificité de Nissan (en dehors des GT-R, on vous voit venir…) ? Les 4×4 ! Et Auto Plus de présenter, régulièrement dans ses colonnes, une version Renault du tout-terrain américain Nissan XTerra, dont la propriété est d’être… un SUV. Pourtant, de cette Alliance, un 4×4 Renault va mettre près de 10 ans à venir.

Années 2000 : Renault se lance enfin dans les SUV… avec divers succès

Nous sommes en 2000 et Renault présente un concept-car massif au Mondial de l’Automobile, le Koleos. Oui, massif car avec son immense calandre et ses énormes roues de 21 pouces, l’étude de style en impose. Sous le capot, c’est un moteur 2,0 l turbo essence hybride qui ne déparerait pas aujourd’hui, puisque l’unité électrique Elégie de 30 kW à batterie lithium-ion peut assurer la propulsion en ville sur quelques kilomètres. La voiture est gérée par commande vocale et la suspension est à hauteur variable. On croirait lire la fiche technique d’un SUV d’aujourd’hui… mais nous étions bien en 2000.

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Au fait, où en sommes-nous de la promesse des technologies Nissan transposées chez Renault ? Eh bien, nous en sommes loin et en matière de 4×4, cela se limite au Kangoo 4×4. De son côté, Nissan se redresse, lance le X-Trail puis, surtout, sa « cash machine » européenne, le Qashqai en 2006. Style civilisé, 4×2 même si la transmission 4×4 est en option, haut sur pattes, il a tout pour convaincre des familles qui se sont déjà lassées des monospaces. Les designers de Renault l’ont bien compris et multiplient les études de style de 4×4… de plus en plus SUV : les études BeBop (2003) et Egeus (2005) en sont la démonstration…

Dans les concessions, l’ambiance est tout autre et les vendeurs proposent un original monospace 4×4, le Scénic RX4. Une synthèse idéale à partir d’une base existante, mais aussi la parfaite illustration qu’un bon modèle sur le papier n’aboutit pas nécessairement à un succès. Malgré ses quelques 40 000 unités produites en 3 ans, le Scénic RX4, sur transmission Steyr Puch, est vite tombé en désuétude. Et on n’a pas gardé en mémoire non plus de la décennie 2000 le Koleos de série, cette fois en partie sur base Nissan, lancé en 2006 et aujourd’hui plongé dans le même anonymat que son design !

Triste constat : bien qu’ayant perçu la tendance, bien qu’ayant accès aux technologies 4×4, Renault a à nouveau loupé le coche… à une exception près, qui arrive en 2009 : le Duster. Sur une transmission 4×4 de Nissan XTrail, le SUV produit par Dacia s’affirme rapidement comme la Renault la plus vendue sur la planète, sous trois marques différentes avec une rentabilité à faire pâlir la concurrence. L’exception qui confirme la règle. Mais avoir un seul SUV ne suffit pas.

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Années 2010 : Renault engage la ‘K’ourse aux SUV… mais se fait encore doubler !

L’étau se resserre dans les années 2010. La direction de Renault se rapproche de celle de Nissan et, par la logique des synergies, les plateformes sont partagées pour aboutir à des modèles plus rentables. Premier enseignement : Renault va enfin pouvoir profiter technologies Nissan.

Mais, second enseignement, Renault va reprendre la main sur le segment des SUV urbains, en lançant en 2013 le Captur. Il n’arrive que 3 ans après le Juke, et devient très vite leader européen du segment. Avec le Peugeot 2008 lancé la même année, les constructeurs français dament le pion aux italiens, allemands et américains, qui tarderont à leur répliquer avec 500 X, EcoSport ou encore T-Cross pas aussi convaincants.

Au niveau supérieur, l’union fait la force. C’est ainsi que Renault part du Nissan Qashqai pour imaginer le Kadjar. Frères de plateforme CMF, cousins de moteurs (1,5 l dCi pour l’un, 1,3 l essence pour l’autre), et même version 4×4 pour le français, on peut aussi lire un cousinage dans le nom de ces deux modèles. Onomastiquement, Qashqai et Kadjar viennent de la même région : en effet, la dynastie Kadjar, d’origine turkmène, régna sur l’Iran entre 1789 et 1925, en partie sur des terres habitées par les Qashqai (ou Kachkaï), une minorité ethnolinguistique du sud-ouest de l’Iran.  

Bien parti en 2015, le Kadjar offre un style qui n’est pas sans rappeler celui d’un Mazda CX-7. Et pour cause : le nouveau directeur du style, Laurens van den Acker, a fait ses classes chez Mazda avant d’arriver chez le Losange ! Mais, même réussi esthétiquement, le Kadjar souffre d’une finition décevante, d’une trop faible gamme moteur, d’une ergonomie loupée (écran tactile trop bas, boutons trop calqués sur le Qashqai…). Le coup de grâce lui est donné tôt, trop tôt dans sa carrière, par un modèle plus moderne et plus dynamique, le Peugeot 3008.

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Enfin, pour le segment D, Renault relance son Koleos, cette fois à partir d’une base de Nissan X-Trail/Rogue, et tous deux sont produits dans la même usine coréenne de Busan. Toutefois, Renault l’imagine statutaire et Nissan familial, alors le Koleos se limite à 5 places quand le X-Trail propose 7 assises. Et c’est le drame : la figure tutélaire du segment D s’affirme comme le Peugeot 5008… avec 7 places. Renault aura beau arguer de l’existence de deux monospaces 7 places dans sa gamme, le Grand Scénic et l’Espace V, déjà surélevé, la clientèle vote résolument en faveur du modèle à l’allure la plus SUV !

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Cette décennie 2010 avait vu s’ériger enfin le principe de SUV portant des noms avec une attaque en « K » : Captur / Kaptur (son cousin sur plateforme de Duster), Kadjar, Koleos, ou encore AlasKan et ArKana. Une stratégie qui va vers sa fin avec l’abandon du patronyme Kadjar et l’arrivée d’un nouveau nom, bien plus doux : Austral.

Années 2020 : le SUV est l’avenir de l’automobile ?

Alors, la décennie 2020 verra-t-elle enfin Renault triompher avec des SUV ? Les ventes apportent une première réponse nuancée : le Peugeot 2008 dame régulièrement le pion au Renault Captur au niveau européen, tandis que dans le reste du monde, la coentreprise chinoise Dongfeng Renault Automotive Corporation qui avait précisément pour objet les SUV a été dissoute.

Alors certes, l’Arkana est un joli coup : premier SUV Coupé d’une marque généraliste, il offre à Renault un temps d’avance certain avant que Peugeot, Volkswagen ou d’autres ne viennent le rejoindre. Il a d’abord été lancé en Russie avant d’être commercialisé dans le reste du monde. Il n’en est pas de même pour la Logan Stepway, rare exemple de SUV berline, confiné pour l’heure au marché Russe.

Pour autant, s’ils ont longtemps pu être considérés comme modèles de niche, les SUV ne le sont plus du tout. Ils constituent même la colonne vertébrale d’une gamme aujourd’hui. Même en Inde, la mini-citadine Kwid a été présentée comme un SUV, avant d’être rejointe par un autre SUV urbain, le Kiger. Les constructeurs qui n’en proposent pas se compte sur peu de doigts, et même Alpine y viendra à terme. Alpine avec qui, à l’époque des projets VVA et VGR – Véhicule Grande Randonnée –, Renault aurait pu damer le pion à l’ensemble de la planète automobile. Un rêve… qui aurait très bien pu se transformer en échec, car avoir raison trop tôt, c’est aussi avoir tort !

A la fin, on remarque que si Renault a bien cerné le concept de SUV, elle aura tardé à en percevoir le potentiel. Désormais, il n’est plus temps de tergiverser et il est grand temps que la marque, plombée par un Kadjar seulement 16e des ventes en France en 2021 (11 338 unités, loin derrière l’Arkana en une demi-année seulement), se repositionne avec l’Austral. Rendez-vous demain pour le découvrir sur notre site.

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