1964 : Carroll Shelby vend ses Cobra comme des petits pains, Enzo Ferrari contourne toujours les règles de la FIA, un fabriquant de tracteur commence à fabriquer ses automobiles et un certain Henry Ford II sur les conseils de Lee Iacocca lance la production d’une nouvelle voiture : la Ford Mustang. Véritable best seller, en V6 puis en V8, la pony car va s’imposer comme l’initiatrice des muscle cars. Le coupé Fastback apparaît en 1969 et c’est l’un de ces modèles qui tiendra le rôle, dans la foulée, de personnage à part entière dans le film Bullitt, avec Steve McQueen à son volant.
50 ans plus tard, en 2018, le nom Bullitt est devenu synonyme de cette Mustang de couleur vert foncé (Dark Highland Green), désiglée, sonore et très agressive. Ford joue du patronyme Bullitt pour sortir, régulièrement, des éditions limitées. Et quoi de mieux qu’un anniversaire, 50 ans plus tard pour nous proposer un nouvel opus ? (Il s’agit bien d’une question rhétorique, bien que nous n’ayons, vraiment, pas trouvé de meilleure solution)
Ford Mustang Bullitt 2018 : entrée des artistes
La Mustang Bullitt 2018 est basée sur une Mustang GT, à moteur V8 donc. Les logos propres à la sportive la plus vendue du monde ont, comme sur l’originale, disparu. La face avant gagne une lame et un pare-chocs spécifiques, alors que la calandre perd son cheval, offrant un résultat agressif à souhait. Les petits projecteurs du millésime 2018 ne sont pas sans rappeler le concept-car de la Mustang imaginé par Giugiaro en 2007, il y a déjà 11 ans. Deux sorties d’air factices sont au programme sur le long capot. Une grosse lame court sous le bas de caisse du monstre alors qu’aucun signe distinctif n’apparaît sur le profil de l’auto. Aucun ? Presque, les très belles jantes, en hommages à celles d’origine, reprennent quand même en leur centre le cheval galopant de la Mustang.
L’arrière voit le centre de coffre remplacé par une grosse cible, rappelant le film cinquantenaire, traversé par un lettrage Bullitt spécifique. Les feux en relief sont translucides et du plus bel effet. L’ensemble est accompagné d’un vrai diffuseur arrière et de 4 sorties d’échappement à la sonorité typique des V8, mais propre à cette version. Seule la carrosserie Fastback (coupé) est disponible pour cette édition qui est limitée dans le temps, et non numériquement comme on a pu le lire un peu partout.
A l’intérieur : une star de cinéma en coulisses
A l’intérieur, la première chose qui frappe est le levier de la boîte de vitesses mécanique. Totalement dépassée aujourd’hui en termes de chiffres de vente, la boîte méca est ici obligatoire dans la Bullitt. Afin de rendre un hommage complet à la voiture originale du film, on retrouve un petit levier en bakélite blanche.
Le volant gagne la même cible que la malle de coffre alors qu’un logo Bullitt se retrouve posé sur la planche de bord, côté passager (avec le numéro de fabrication de la voiture). Le reste de la finition de notre modèle d’essai reste classique, avec un large bandeau plastique en imitation aluminium. Seules les coutures des sièges en cuir diffèrent : elles sont de couleur vert foncé, comme la robe de la voiture.
Le Marginal, version 2018
Cependant, nous sommes en France, et nous n’avons pas ces artères aux pentes à faire pâlir une station de ski des Alpes que sont les rues de San Francisco. Une question existentielle est donc apparue durant l’essai : comment rendre hommage à la Mustang Bullitt d’origine en habitant en région parisienne et non en Californie ?
Il s’avère qu’un film français rendant hommage à Steve McQueen utilisait une Mustang pour une course poursuite musclée dans les rues de la capitale et de sa proche banlieue. Vous ne voyez toujours pas ? Il s’agit du film Le Marginal dont les cascades ont été réalisées par Jean-Paul Belmondo et Rémy Julienne. Dans ce film, sorti 15 ans après Bullitt, l’acteur star des années 1970/80 incarne le commissaire Jordan dans une sombre affaire de drogue et d’assassinats en tout genre. Mais la scène qui nous intéresse est une longue course poursuite entre Belmondo et les tueurs. Bebel conduit une Mustang très agressive en hommage à Steve McQueen, décédé 3 ans plus tôt.
Notre mission était trouvée : aller sur les différents lieux de tournages du film pour y immortaliser notre Mustang au travers d’une balade parisienne, avec pour toute bande-son le glouton V8. C’est également le moment de se demander si une Mustang V8, éligible Crit’Air 1, est la bonne solution pour rouler dans Paris… Afin de favoriser les prises de vues, rendez-vous est pris un dimanche matin en ce beau mois de novembre, sous une pluie battante. La voiture dispose de 6 modes de conduites : Normal, Personnel, Sport +, Circuit, Dragster et Pluie/Neige. Malgré l’activation de ce dernier mode, le plus restrictif, le trajet sur l’autoroute menant à la capitale est le théâtre de quelques ruades et glissades du train arrière de façon inopinée. Bons réflexes et ESP sont, sous nos conditions, plus que bienvenus.
Notre parcours hommage nous amène tout d’abord sur les quais du canal Saint-Denis, à Aubervilliers. Malheureusement, ils ont récemment été interdits à la circulation, voire mis en travaux pour certains. Cela rend impossible la prise de vue directement sur les bords de l’eau, comme lors de la célèbre course-poursuite. Qu’importe, nous traversons un Aubervilliers désert et fantomatique en ce dimanche matin. L’ambiance nous replonge aisément dans le film, bien aidé par le seul son du V8 grondant contre les stores baissés des petites boutiques.
Course-poursuite en dérive le long des quais
La balade parisienne nous conduit ensuite du côté du quai de la Loire, dans le quartier de la Villette. Les premières rues pavées font leur apparition et les ruades reprennent de plus belle. Quelques coureurs matinaux sont présents, mais disons que nous ne sommes pas trop dérangés par la circulation et que nous avons tout le temps de prendre nos photos. Le moindre démarrage voit la voiture repartir en mode Normal, si bien qu’à plusieurs reprises nous oublions de repasser le mode Pluie/Neige. A chaque fois, au premier virage ou à la première pression sur l’accélérateur, le train arrière cherche à passer devant ! Avec le V8 les passants nous entendent arriver de loin, au point d’en voir certains reculer à l’approche de la voiture, alors que nous leur laissons justement la priorité.
Si le point de rendez-vous suivant n’apparaît pas dans la course poursuite, il est cependant le lieu d’une grosse bagarre entre le commissaire Jordan et deux petits voyous. Direction donc la rue Puget, aux abords du Moulin Rouge, pour rejouer la scène ou presque. La rue est déserte et une fois la Mustang garée le long du trottoir, disons qu’il ne reste pas beaucoup de place pour la circulation. Notre arrêt que l’on voulait court est finalement assez long puisque les quelques passants son obnubilés par la présence de l’auto. Beaucoup ne connaissent pas le film, et seul un vieux monsieur se souvient du tournage. L’arrêt ne durera pas moins de 45 minutes, à discuter et se remémorer les films de Bebel « le Magnifique ».
Une fine pellicule
Le temps passe mais il est temps de rallier notre dernier lieu commémoratif, à l’autre bout de Paris. Le trajet n’est évidemment pas de tout repos. Nous redescendons quelques grands boulevards, traversons quelques places célèbres avec, de manière assez régulière, un angle de 30 à 45° entre la route en pavés et la voiture. Le passage autour de la Madeleine se fera complètement en travers avant de venir s’arrêter aux pieds d’un policier pour lui demander… notre chemin. Le GPS de la Mustang voulant absolument nous faire prendre une route fermée à la circulation… Pour la discrétion, nous repasserons. Une fois la bonne route trouvée, nous repartons en direction de la dernière scène, sous le métro aérien de Paris.
Nous trouvons tout d’abord l’arrêt de bus Glacière, qui finit en bien piteux état dans le film. A regarder le lieu aujourd’hui, on imagine assez bien toute la fougue des cascadeurs de l’époque. Ce n’est pas bien large et la moindre erreur vous entraînera dans l’épais pilier du viaduc. Nous trouvons le moyen de monter la voiture sur le trottoir, sous le métro parisien. Le regard ébahi de quelques badauds en dit long sur l’impact visuel de la voiture. Il est vrai qu’elle en jette ! Après quelques clichés, nous nous échappons définitivement de la capitale.
Bullitt : ce n’est pas que du cinéma
Alors une Ford Mustang V8 en boîte mécanique, est-ce possible dans Paris ? La réponse est oui, principalement parce que tout est possible pour qui sait mener sa cavalerie. Et puis cela nous change des SUV downsizés à échappement factice… Cependant, ce ne sera pas la meilleure idée que vous aurez quand, comme nous, les conditions climatiques sont apocal… enfin bref, juste mauvaises.
La Ford Mustang Bullitt 2018 n’est clairement pas une voiture à mettre entre toutes les mains. A l’heure des véhicules aseptisés, un tel moteur et un tel comportement routier font plaisir à voir, bien qu’on soit content de la rendre en entier quand l’essai se termine.
Marginale ? C’est peut-être encore ainsi qu’on la définit le mieux, cette Mustang Bullitt.
Idée commémorative, texte et photos : Antoine Lesbroussart