L’idée d’abaisser la vitesse à 110 km/h sur autoroute proposée par la convention citoyenne pour le climat a suscité, et c’est peu de le dire, de vives réactions de toutes parts depuis plusieurs jours. Le débat, forcément très clivant et tournant vite à la foire d’empoigne, en particulier sur les réseaux sociaux, pose sur la table de ce poker menteur des arguments variés et pas toujours très justifiés/justifiables, que ce soit dans un camp ou dans l’autre. Aussi, plutôt que de nous positionner d’entrée en fervents opposants à ce projet simplement parce que notre centre d’intérêt majeur est un objet roulant comptant un moteur et plus ou moins quatre roues, nous avons préféré analyser les jeux des participants, leurs atouts, leurs jokers, et répondre à la question : « tu bluffes Martoni ? »
Vert-batim
Qu’on soit pour ou qu’on soit contre, discuter d’une proposition et se forger une opinion dessus nécessite avant tout de savoir précisément ce qui est avancé ainsi que le contexte dans lequel cela a été élaboré. Cette idée d’abaissement de la vitesse limite sur autoroute provient de la Convention Citoyenne pour le Climat (CCC) créée par l’Exécutif pour apporter, entre autres, une réponse aux aspirations multiples du mouvement des gilets jaunes, dans la lignée du grand débat et, surtout, réfléchir à des solutions pour répondre à la question « comment réduire d’au moins 40 % par rapport à 1990 les émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, dans le respect de la justice sociale ? ». Cette CCC composée de 150 citoyens français tirés au sort (mais libres de refuser d’y participer) a travaillé pendant environ 6 mois pour élaborer un rapport final remis au gouvernement le 21 juin dernier contenant 149 propositions pour le climat.
On n’oubliera donc pas, immédiatement, de replacer l’idée des 110 km/h sur autoroute dans la perspective, beaucoup plus large, des 148 autres, histoire de ne pas réduire ce rapport de 600 pages à ce qu’il n’est pas. Beaucoup d’autres propositions seraient d’ailleurs susceptibles de soulever un débat tout aussi passionné dans notre univers automobile (Proposition SD-C1.2 : Renforcer très fortement le malus sur les véhicules polluants et introduire le poids comme un des critères à prendre en compte. Proposition SD-C1.3 : Interdire dès 2025 la commercialisation de véhicules neufs très émetteurs) mais l’emballement médiatique s’est avant tout focalisé sur une thématique porteuse… et prompte à générer l’excitation et la polémique, surtout avec le précédent des 80 km/h. Et, de fait, nous devons bien reconnaître que nous n’y dérogeons pas non plus.
La proposition qui nous intéresse donc est la suivante :
« PROPOSITION SD-A3.1 : RÉDUIRE LA VITESSE SUR AUTOROUTE À 110 KM/H MAXIMUM »
Posée de cette manière elle est claire, nette et surtout péremptoire. Ce qui a immédiatement fait réagir les plus réfractaires à toute mesure de ce genre à coup d’arguments pour le moins hasardeux basés le plus souvent sur les convictions politiques supposées des membres de la CCC (qui seraient en gros tous à placer dans la désormais très pratique et très fourre-tout case des écolos-bobos si on veut rester dans les propos les plus mesurés et s’abstenir de l’énumération des noms d’oiseaux) ou attaquant directement le gouvernement pour une décision qu’il n’a pas lui-même proposée et pas non plus, pour le moment du moins, adoptée.
Il faut cependant préciser que les membres de la CCC ont entouré toutes leurs propositions de remarques et d’interrogations contextuelles qu’il n’est pas inutile de consulter. En effet, elles démontrent que, loin de l’argument devenu récurrent consistant à décréter que les « décideurs » sont déconnectés des réalités, les participants ont eu au contraire tout à fait conscience de l’émoi susceptible d’être généré par une telle mesure et l’ont fait savoir dans leurs commentaires. On peut ainsi lire dans le rapport les phrases suivantes à son propos : « Elle est en revanche relativement complexe à mettre en place du point de vue de « l’acceptabilité » car elle peut être vécue comme une limitation de liberté et une perte de temps (qui peut être assimilée à un surcoût pour les ménages et les professionnels) » ou « Nous avons conscience que cette proposition va impacter les acteurs suivants au sein de la société : l’ensemble des usagers des autoroutes ou voies rapides considérées, sous forme de temps « perdu » qui se traduit par un coût économique, notamment pour les entreprises ou individus qui roulent beaucoup quotidiennement ».
On notera par ailleurs que des propositions alternatives ont été émises mais non retenues (limiter « seulement » à 120 km/h par exemple) et que des divergences se sont faites jour entre les membres de la CCC (« Nous sommes opposés à la limitation de la vitesse à 110 km/h sur les autoroutes, car elle ne sera pas respectée et n’aura pas d’effet sur les émissions des véhicules électriques que l’on attend de plus en plus nombreux sur les routes à l’avenir »). Le sujet était donc en débat au sein même de l’instance et le vote sur cette proposition a d’ailleurs affiché l’un des taux les plus faibles d’acceptation (moins de 60 % de votes favorables alors que le rapport affiche une moyenne de 95 % de oui).
Mais surtout, le rapport de la CCC avance également des arguments en faveur de la proposition. Si c’est bien un débat et un échange démocratique apaisé et efficace que nous recherchons, alors ces arguments doivent servir de base à notre propos. Si on est pour on s’évertuera à démontrer que ces arguments sont valables et à les étayer, si on est contre on cherchera à démontrer qu’ils sont soit faux, soit incomplets (si c’est bien le cas) et surtout à avancer d’autres arguments laissés de côté intentionnellement ou non. Dans tous les cas, si on pouvait s’abstenir de l’insulte qui réduit instantanément l’argument de celui qui la profère à néant ce serait véritablement un progrès.
CO2 qu’il faut parler
« Nous voulons que d’ici 2030, les émissions de CO2 liées à la grande vitesse soient réduites. […] Les avantages [de la mesure] sont les suivants : réduire de 20 % les émissions de gaz à effet de serre en moyenne sur ces transports »
Le premier argument mis en avant par la CCC est en toute logique celui des émissions de CO2, un gaz à effet de serre (GES) considéré comme l’un des principaux responsables du changement climatique. S’il y a d’autres GES (la vapeur d’eau ou le méthane par exemple) le CO2 reste au cœur de toutes les attentions car il est l’un des rares sur lequel les sociétés humaines peuvent agir. Il fait d’ailleurs désormais partie intégrante de notre vie quotidienne et on retrouve des informations sur ses volumes d’émissions à peu près partout (le « coût carbone »). En particulier dans le monde de l’automobile où les rejets par kilomètre sont devenus, entre autres, un défi technique majeur et complexe, un critère d’achat ou de communication, et surtout une base fiscale.
Alors, réduire la vitesse de 20 km/h sur les autoroutes permet-il de faire baisser les émissions de CO2 par kilomètre ? Indéniablement la réponse est oui. On précisera d’ailleurs que la valeur indiquée par la CCC, une baisse de 20 %, est approximative mais pourrait s’avérer un peu plus importante encore qu’annoncée. Il s’agit donc là d’un argument solide qui, replacé dans l’acceptation globale qu’il faut agir pour juguler le changement climatique, ne peut guère être écarté. Sauf bien entendu si vous êtes climato-sceptique.
Attention toutefois, cette baisse du volume n’est pas à prendre au sens général : il est bien précisé dans le rapport « sur ces transports » ce qui signifie que la baisse ne vaut naturellement que pour les trajets autoroutiers, et même plus précisément seulement pour les usagers auto et moto, les poids lourds étant à exclure de ce calcul puisque roulant d’ores et déjà à une vitesse maximale de 90 km/h. On pourrait donc opiner que le volume de CO2 hypothétiquement économisé serait finalement assez limité, compte-tenu du fait que le réseau autoroutier (concédé et non concédé) n’accueille qu’un petit quart de l’ensemble du trafic total. Un argument qui peut s’entendre mais qui doit nécessairement être mis en perspective avec l’idée générale du rapport de proposer 149 idées participant chacune modestement à la réduction des émissions de CO2 mais aboutissant à un résultat global bien plus significatif. Les fameux ruisseaux qui font les grandes rivières…
Moins vite, plus loin
« Économiser 1,4 € par 100 km en moyenne sur le coût des carburants »
Deuxième argument massue des défenseurs de la mesure : elle aurait un effet fort bénéfique sur le portefeuille des conducteurs. Quand on se souvient que la hausse des prix du carburant avait été l’un des éléments déclencheurs du mouvement des gilets jaunes on se dit que cet argument vaut de l’or et devrait à lui seul permettre de remporter la mise. Dans les faits il est là aussi rigoureusement exact puisque rouler à 110 km/h permet effectivement de consommer moins. Assez nettement d’ailleurs et même plus que ce qu’on imagine parfois, c’est en tout cas le constat que nos confrères de Caradisiac ont établi lors d’un récent test in vivo. Il est vrai que, comparé aux 80 km/h où le gain est quasi-nul par rapport à 90 en raison de la faible différence d’allure ou parce qu’on hésite facilement sur le rapport à engager (5e ou 6e), il n’en est pas de même entre 130 et 110 où le régime moteur est automatiquement plus bas. L’économie dépend bien sûr de nombreux autres paramètres, notamment de votre conduite, mais elle peut effectivement, en moyenne, atteindre les 20 %.
On peut donc bien aller beaucoup plus loin en roulant moins vite, et c’est aussi particulièrement adapté aux véhicules électriques qui bénéficient d’une autonomie bien meilleure quand on réduit un peu la cadence. L’autoroute n’est jusqu’ici pas tellement leur terrain de jeu, elle pourrait le devenir (un peu) plus largement.
L’argument financier avancé s’avère donc assez porteur, en tout cas nettement plus que pour les 80 km/h où il était trop faible pour peser réellement dans le débat. Mais cette « économie » est toutefois à nuancer très fortement car la plupart des autoroutes françaises sont concédées et donc payantes. Les conducteurs ayant un budget restreint ou ne souhaitant pas dépenser de l’argent pour un gain de temps qu’ils estiment insuffisant s’en passent pour la plupart et ne seront donc pas du tout touchés par cet argument. En théorie ils ne devraient presque même pas avoir leur mot à dire puisqu’ils ne prennent pas ou très peu l’autoroute et ne seraient donc pas ou très peu concernés par la mesure. Il suffit toutefois qu’ils ne la prennent ne serait-ce qu’une seule fois pour qu’ils se sentent concernés malgré tout. A juste titre. L’argument pourrait toutefois être retourné par les plus convaincus et utilisé comme une incitation à prendre l’autoroute, le péage étant toujours aussi cher mais le coût global se réduisant un peu grâce à la consommation en baisse. Mais c’est pour le moins capillotracté.
Pour les budgets moins contraints, et pour les entreprises surtout, l’argument peut en revanche s’entendre. D’autant qu’il faut alors réfléchir en changeant d’échelle. Par exemple en prenant en compte la quantité globale de carburant économisé par l’ensemble des utilisateurs sur une année dont la valeur serait estimée à 360 millions d’euros (oui quand même). Mais, on le verra plus loin, pour impressionnante qu’elle soit, cette somme ne contrebalance pas suffisamment le problème majeur de la proposition.
Sans 10 mais avec un as (du volant)
« Baisser la mortalité et les dommages corporels sur les routes »
On entre ici dans des zones de turbulences nettement plus marquées car on n’est plus à proprement parler sur des impacts environnementaux mais sur un effet collatéral de la mesure sur lequel les chiffres ne sont plus aussi simples à mesurer et à analyser. Toute la question qui, elle, n’est pas « vite répondue » puisqu’on en débat depuis des années, est de savoir si la baisse de la vitesse et celle de la mortalité routière sont directement reliées ou si la baisse de la vitesse fait seulement partie d’un ensemble de (très nombreux) facteurs permettant de réduire l’accidentologie et les morts sur la route (on songera ici à la sécurité active et passive des véhicules, aux comportements plus ou moins responsables des conducteurs, à l’alcoolémie, à la drogue, à l’utilisation du téléphone, aux conditions météorologiques, etc.).
Attention cependant à ne pas nier certaines évidences. Il serait totalement irresponsable de rejeter catégoriquement l’idée que la vitesse est bien un facteur fortement aggravant lors d’un accident. Il est absolument certain qu’un impact à 60 km/h et un autre à 130 km/h auront statistiquement parlant, pour les occupants du véhicule, des conséquences bien différentes. Et rares seront les cas où le résultat sera moins grave à 130 qu’à 60. Pour autant, l’analyse de l’accidentologie réalisée par la Sécurité Routière dans son rapport définitif de 2018 pointe ceci : « en 2018, la mortalité sur les autoroutes diminue par rapport 2017 : 269 personnes ont perdu la vie dans un accident sur une autoroute, soit – 5% (13 décès en moins qu’en 2017). Cette mortalité est cependant en hausse (+ 5%) par rapport à 2010. En 2018, 2 016 personnes ont trouvé la mort dans un accident de la route situé hors agglomération et 963 personnes en agglomération, soit une baisse de – 6% et – 5% respectivement pour ces deux réseaux. C’est sur les routes situées en dehors des agglomérations que survient la majeure partie de la mortalité routière (62%), un pourcentage qui figure parmi les plus élevés d’Europe. Elle intervient à 90% sur les routes à double sens sans séparateur central. Les routes à plus fort trafic, les plus larges et les plus droites concentrent les accidents les plus nombreux et les plus graves ».
On peut certes objecter que le réseau d’autoroutes ne représente qu’1,5 % du total des routes en France et qu’on est donc loin de la proportionnalité mais il n’empêche que, bien que la vitesse y soit très largement supérieure, le réseau autoroutier français est nettement moins meurtrier que ne le sont les routes « classiques ». Si cela ne fait pas la preuve que vitesse et mortalité n’ont pas de lien direct, cela permet au moins d’affirmer que les aménagements des infrastructures routières jouent un rôle important dans la sécurité routière.
En profiter pour s’absoudre du respect de la limitation à coup de « rouler à 150 quand il n’y a personne c’est pas dangereux » ou « ma voiture est faite pour ça et même beaucoup plus » puisque, c’est bien connu, l’enfer c’est les autres et que nous sommes tous des incroyables as du volant, n’en devient pas plus recevable. Mais l’argument de la baisse de la mortalité et de l’accidentologie, s’il n’est pas sans fondement, s’avère nettement moins solide et peut même assez largement être écarté tant il est difficile à démontrer.
Et si on passait à 100… limites ?
« Par ailleurs, il est possible de noter que la vitesse maximale autorisée est inférieure à 130 km/h dans de nombreux pays : 113 km/h en Grande-Bretagne, 110 km/h au Brésil et en Suède, 100 km/h en journée depuis mars 2020 aux Pays-Bas »
Observer ce qui se passe chez les autres et utiliser ce qu’on y constate pour appuyer son propos est un processus fréquent qui reste par ailleurs tout à fait justifié dans un développement argumentatif, et qui permet surtout de relativiser sa propre situation en la mettant en perspective avec d’autres. Mais c’est souvent un argument à double tranchant, tout particulièrement dans notre cas. Car, s’il est vrai que les pays cités en exemple ont bien des limitations de vitesse autoroutières plus basses que chez nous, il n’en n’est pas moins vrai qu’il existe des contre-exemples tout aussi solides.
Ils ne sont pas, il faut bien le reconnaître, les plus nombreux. La Pologne, la Bulgarie ou encore Abu Dhabi sont à 140 km/h ; on voit régulièrement des personnes affirmer que l’Autriche et l’Italie affichent 140 ou 150 km/h mais c’est une erreur, l’Autriche à bien testé les 160 km/h jusqu’en 2007 puis le 140 d’août 2018 à février dernier mais a abandonné ces projets et reste à 130 km/h tandis que l’Italie, si elle a accepté le principe des 150 km/h sur certaines portions depuis plus de 15 ans, n’en a encore mis aucune en service et ne compte pas le faire. Mais il reste bien entendu le cas à part (vraiment à part) de l’Allemagne et ses portions illimitées. Modèle de référence auquel on aime tout particulièrement se confronter en France, l’Allemagne se transforme bien souvent en une preuve quasi irréfutable qu’il est possible de ne pas limiter la vitesse et d’obtenir malgré tout une mortalité routière bien inférieure à la nôtre. C’est un fait, les Allemands semblent plus responsables au volant que nous ne le sommes (en moyenne). Mais on rappellera tout de même que seul 60 % du réseau autoroutier est illimité, que cette proportion se réduit d’année en année, que les autoroutes allemandes, gratuites, sont régulièrement bondées et qu’il est donc assez difficile d’y rouler très vite et que seule une assez petite partie des conducteurs le fait, l’immense majorité respectant la vitesse conseillée de… 130 km/h, ne serait-ce que parce qu’en cas d’accident votre assurance peut modifier certains critères d’indemnisation en fonction de votre allure au-delà de cette limite. Et là, on ne parlera pas des émissions de CO2 dans un pays qui a pourtant un esprit écologique nettement plus marqué que chez nous.
Rares sont donc les pays qui ont une limitation de vitesse plus élevée que la nôtre. La France fait d’ailleurs déjà partie avec ses 130 km/h des plus importantes même si nombre d’autres pays ont également adopté cette limite. On pourrait donc éventuellement recevoir l’argument de la CCC, tout en rétorquant immédiatement qu’il y a bien des exceptions et surtout qu’en passant à 110 nous nous retrouverions du même coup très en deçà de la moyenne, presque un peu seuls.
Sauf que… Sauf que nous ne sommes plus du tout dans un débat sur le climat ici mais dans un débat sur la liberté. Le CCC le pointe lui-même en précisant que cette mesure « peut être vécue comme une limitation de liberté ». L’argumentaire se doit alors de s’adapter tout en prenant soin de s’interroger sur la nature de notre système social et politique et sur la notion de liberté dans notre pays. Une valeur fondamentale qui s’appuie beaucoup plus souvent sur l’idée collective que sur l’idée individuelle.
Sacré coût…
Arrivé ici on a donc surtout l’impression que s’attaquer à cette proposition sur les arguments avancés par la CCC ne vous sera guère aisé et risque vite de vous faire passer pour un bon gros égoïste irresponsable et rétrograde incapable de vous adapter aux évolutions nécessaires de votre temps. Mais il y a quand même un point qui devrait sauver la mise, celui du temps. Et comme le temps c’est de l’argent, qui plus est ici de l’argent collectif, il y a peut-être moyen de creuser.
La CCC précise en effet comme seule contrainte de sa mesure :
« un allongement modéré des temps de trajets est à prévoir : entre 4 et 8 minutes par heure »
Un calcul pour le moins « à la louche » qui, pour minimiser l’impact de son résultat, essaye sans doute de tenir compte de facteurs spécifiques (barrière de péage, travaux, limitation préexistante… ?) mais qui ne sont en tout cas pas expliqués. Si perdre 4 minutes sur une heure est globalement acceptable, c’est déjà un peu moins le cas pour 8. Faisons donc alors un calcul exact : à 130 km/h on parcourt… 130 km en une heure contre seulement 110 à 110 km/h (bravo !!!). Pour réaliser la distance de 130 km à 110 km/h il faut en fait 1h 10m et 54 s. On passe soudainement de 8 (voire 4 !) à près de 11 minutes de perdues à chaque heure. Concédons-le, il s’agit ici d’un calcul extrêmement théorique car il est assez difficile de pouvoir rester aussi longtemps à la même vitesse, mais il ne l’est finalement pas beaucoup moins que celui qui a permis d’obtenir les fameuses 4 minutes.
A cela il faut encore rajouter que, si la distance moyenne parcourue sur autoroute par un conducteur quand il l’empreinte est relativement modeste (environ 60 km), il reste cependant assez fréquent de prendre cette même autoroute pour de longs trajets. Justement dans l’objectif de réduire le temps de parcours par rapport au réseau classique. Imaginons un Strasbourg-Béthune sur les autoroutes A4 et A26 généralement peu encombrées et où il est donc assez aisé de ne pratiquement jamais toucher à son régulateur de vitesse. La distance de 544 km à 130 km/h sera réalisée (sans aucun arrêt et sans tenir compte des péages, de travaux, d’encombrements, ou de limitations préexistantes) en 4h 11m contre 4h 56m à 110 km/h. Environ 3/4 d’heure en plus ce n’est pas rien, surtout sur un trajet déjà long et fatiguant. Ce d’autant que la somnolence/fatigue, comme le démontre le graphique de la sécurité-routière placé un peu plus haut, est l’un des principaux facteurs d’accidents sur autoroute. Et si pour un particulier ça ne signifie « que » du temps perdu, pour un professionnel cela suppose également une perte financière. Ce que la CCC ne cherche pas à nier, nous l’avions évoqué au début de cet article, en précisant à propos des personnes impactées par sa proposition :
« L’ensemble des usagers des autoroutes ou voies rapides considérées, sous forme de temps « perdu » qui se traduit par un coût économique, notamment pour les entreprises ou individus qui roulent beaucoup quotidiennement »
Et c’est là que la mesure, écologiquement difficile à contrer, se retrouve confrontée à une réalité plus froide la rendant soudainement moins glamour car potentiellement génératrice de plus de pertes que de gains. Car cette proposition n’a en fait rien de bien novateur, elle a déjà été évoquée à de multiples reprises depuis de nombreuses années et a du coup fait l’objet d’une étude de ses impacts relatés dans un rapport complet publié par le Ministère de la Transition Écologique et Solidaire en 2018. Si l’étude met en relief le très bon bilan environnemental qui serait obtenu en abaissant la vitesse sur autoroute, les conclusions finales sont en contrepartie pratiquement sans appel : le rapport bénéfices-coûts d’une telle mesure serait négatif avec une perte évaluée à 554 millions d’euros chaque année. Principal facteur négatif, le temps perdu représentant pour les entreprises une perte de 1,14 milliard d’euros qu’il faudrait bien trouver ailleurs, et le contexte actuel ne s’y prête guère.
La mesure proposée serait donc financièrement inefficace. Cela n’en fait pas pour autant une mesure socialement et écologiquement inacceptable, surtout dans une période ou l’idée même de sacrifices indispensables est de plus en plus mise en avant et progressivement acceptée (ou violemment rejetée), mais cela fragilise toutefois beaucoup sa validité et son utilité, tout spécialement si on ne tient pas uniquement compte du seul prisme écologique mais qu’on réfléchit avec celui, triple (écologique-économique-social), du développement durable.
Pour une limitation de la vitesse… de réflexion et d’analyse
Être pour ou contre cette proposition doit en tout cas relever d’une forme de réflexion qui ne peut ni être instantanée, ni se fonder sur un faible nombre d’argument, sur des arguments fallacieux ou pire injurieux. Cette limitation que, soyons bien clairs, nous n’appelons pas de nos vœux sera dans tous les cas très probablement difficile à tenir dans le contexte actuel. Impossible de prédire l’avenir, et nous nous en garderons bien, mais face à une opinion publique à laquelle il a été demandé beaucoup depuis des mois et qui, d’après les derniers sondages, rejette massivement cette proposition, le gouvernement marche sur des œufs et n’a pas forcément besoin de rajouter plus de boulets à ses chevilles qu’il n’en traine déjà. Il convient toutefois d’être prudent, de rester attentif aux développements autour du sujet et de ne pas oublier que la CCC a également avancé 148 autres propositions qui doivent elles-aussi faire l’objet d’un regard critique du public pour les valider ou non (elles sont loin d’être toutes sans intérêt), histoire de ne pas être passé à côté de l’essentiel et d’être convaincus que les décisions que nous prenons ou écartons sont bien les bonnes.
Sources : Convention Citoyenne pour le Climat, Ministère de la Transition Écologique et Solidaire, AFSA, securite-routiere.gouv.fr (ONISR)
Crédits photo : Katrin Baumann/CCC, Vinci Autoroutes, Le Nouvel Automobiliste