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Better Place Israël Station d'échange de batteries

Nature morte : Visite d’une station Better Place en Israël

Better Place. Un nom dont beaucoup se souviennent tant le projet a fait parler de lui au cours de son développement. Derrière Better Place se trouvait Shai Agassi, un homme doué et doté d’une sacrée ambition : celle de réinventer à la fois la consommation automobile et le véhicule électrique. Avec Better Place, un nouveau concept voyait le jour. L’échange de batteries remplaçait la recharge. Opérationnel dès 2011, le service Better Place s’est rapidement effondré pour diverses raisons. Qu’en reste-t-il en 2018 ? Des stations abandonnées. Et si on allait les voir ?

La station que nous vous montrons se trouve au Nord d’Eilat, en Israël, le pays dans lequel Shai Agassi ambitionnait d’écouler des dizaines de milliers de Renault Fluence ZE, lesquelles seraient ravitaillées par un important maillage de 40 stations. Mais avant de faire le tour de l’intriguant bâtiment, remémorons-nous un peu l’histoire de Better Place et de son fondateur.

Heal the world, make it a…

Better Place, c’est un projet qui a démarré sous l’impulsion de Shai Agassi. Diplômé du Technion, l’université de Haifa (Israël), en 1990, il fonde deux ans plus tard la société TopTier Sofware, société qui sera rachetée par SAP en 2001 pour 400 millions de Dollars. Shai Agassi occupe alors de hautes fonctions au sein de SAP avant d’en démissionner en 2007, faute d’avoir pu en être PDG comme il le souhaitait.

C’est cette même année qu’il fonde Better Place, issue d’une idée qui avait germé en lui dès 2005 : « comment un pays pourrait-il se passer de pétrole ? ». On le retrouve en 2008 dans une conférence TED en train d’exposer son projet, désormais clair. Avec un réel charisme et une force de conviction, il présente son nouveau paradigme pour la filière automobile et n’a aucun complexe à comparer son projet à celui de J.F. Kennedy d’envoyer un homme sur la Lune. Mieux encore, il n’hésite pas à mettre sur le même plan son projet de se passer de pétrole à l’abolition de l’esclavage au Royaume-Uni. Il y parle de morale et d’économie et termine en ouvrant sur la prochaine révolution industrielle. L’auditoire se lève et applaudit. L’homme a le don de captiver et de convaincre.

Entre temps, Shai Agassi a rencontré des politiciens. L’un d’eux s’est montré réceptif. Shimon Peres lui laisse ainsi entendre qu’Israël serait le parfait terrain de jeu pour son projet à la condition que Better Place trouve un partenaire parmi les constructeurs automobiles et trouve un levier pour lever les fonds que l’Etat hébreux n’avait pas l’intention de donner à ce projet très (trop ?) ambitieux. Gaspiller l’argent public n’est donc pas une fatalité. Agassi entame de nombreux échanges sur le court de l’industrie automobile : celui avec Carlos Ghosn, le cinquième chef d’entreprise rencontré par l’entrepreneur, se révélera gagnant. Le dirigeant de l’Alliance Renault-Nissan lui promet des voitures et un important investissement : la partie est désormais sérieusement engagée, Better Place se charge de lever un maximum de fonds pour mener à bien son projet en Israël. 900 millions de Dollars sont récoltés auprès de divers investisseurs dont HSBC, Morgan Stanley, General Electric, Vantage Point Capital Partners, et le conglomérat Israel Corporation.

L’idée de l’échange de batteries n’est pas nouvelle en soi : elle a plus d’un siècle lorsque la société américaine Hartford Electric Light Company a monté une JV avec General Electric (GeVeCo) pour proposer un service d’échange de batteries destiné à des camions électriques en 1910, service stoppé quelques années après. D’une certaine manière, le concept existe aussi sur les chariots élévateurs électriques depuis le lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Mais Better Place actualise largement l’idée en automatisant l’échange de batteries dans des stations accessibles au commun des mortels. La première station est présentée à Tokyo en 2009 tandis que la première est construite en Israël en mars 2011. L’aventure peut commencer concrètement dans ce pays de petite dimension (470 km du Nord au Sud et 135 km d’Est en Ouest au point le plus large), quasiment insulaire d’un point de vue automobile et plutôt intéressé par la perspective de réduire sa dépendance à l’or noir. Le Danemark suivra ; l’Australie et Hawaï étaient également désignées tandis qu’une expérience a été menée à Amsterdam avec des taxis Fluence ZE de l’aéroport de Schiphol.

Du côté des voitures, si le premier prototype est une Megane II Sedan modifiée, un Qashqai électrique apparaît également au Japon ainsi qu’une petite flotte de Renault Laguna III électrifiées servant de démonstrateurs aux visiteurs israéliens. Choix assez étonnant quand on sait que la Laguna III n’a pas été importée en Israël et qu’elle ne partageait pas sa plateforme avec le véhicule retenu par Renault pour le service Better Place : une Fluence modifiée, dotée d’un porte-à-faux arrière interminable, rallongé de 13 cm afin de ménager un coffre décent derrière la batterie. Les ailes arrière, feux, malle de coffre, lunette et boucliers étaient spécifiques, ainsi que la face avant de la voiture. Entre la banquette arrière (fixe) et le coffre, loge la batterie amovible. Elle se change par-dessous la voiture.

Le modèle économique de Shai Agassi change fondamentalement des codes de la distribution automobile pour se rapprocher de ceux de la téléphonie mobile. Le client paye ainsi un abonnement selon le kilométrage désiré afin de subventionner sa voiture, l’objectif étant de rendre le véhicule Better Place significativement moins cher qu’un équivalent thermique. Tout est opérationnel en janvier 2012 en Israël, le réseau de stations et de bornes poursuit son développement à travers le pays tandis que les voitures sont livrées. Pour autant, si le service fonctionne sans accroc, l’aventure tourne court faute de viabilité économique et à cause d’un véhicule pas si abordable qu’annoncé. La faillite est déclarée dès le mois de mai 2013.

Better Place, un projet condamné à échouer ?

De nombreux facteurs sont à l’origine de la déroute de l’entreprise. Parmi les causes de l’échec de Better Place on trouve la voiture. Non pas que la Fluence était mauvaise ou incongrue sur le marché : les berlines compactes avaient toute leur place en Israël, bien que les SUV du segment C avaient déjà commencé à y dévorer d’importantes parts de marché. D’ailleurs, la Fluence thermique s’y est honorablement vendue… notamment grâce à ses versions Diesel, éligibles à la Green Tax. Pour l’anecdote, la Fluence dCi EDC Euro 6 ne doit son existence qu’aux demandes de l’importateur israélien et de Samsung Motors pour des raisons de fiscalité verte. Comme quoi, ce qui est vert ou non dépend vraiment de l’humeur des politiciens.

Malgré des qualités dynamiques en léger retrait face à une Fluence thermique (50 kg de moins sous le capot et un cadavre lithium-ion-manganèse de 280 kg dans le coffre), la voiture restait acceptable, j’avais eu la chance de l’essayer à son lancement au Portugal. En revanche, la Fluence ZE Better Place ne remplissait pas son contrat de base : être moins chère qu’un équivalent thermique. Première barrière pour la clientèle pour qui la voiture coûte plus de 30 000 €. La seconde étant qu’une Mazda3 ou un Hyundai Tucson, alors stars du marché étaient infiniment plus sexy… Troisième écueil ? La Fluence ZE n’a été rejointe par aucun autre modèle compatible avec le système Better Place.

S’arrêter au produit serait extrêmement réducteur dans la mesure où ce n’est qu’une infime part de l’échec de Better Place. L’inébranlable optimisme de Shai Agassi finissait par déconnecter l’entreprise de la réalité. En effet, la société était très vorace : l’argent, pourtant massivement accumulé était très rapidement dépensé. C’est peut-être d’ailleurs le fait de n’avoir pas été forcé de compter le moindre centime en raison d’importantes levées de fonds qui a empêché Better Place de se concentrer afin de dépenser au juste nécessaire. Qu’il s’agisse des locaux, du déménagement près de Tel Aviv, de l’accueil des visiteurs avec un hologramme de Shai Agassi (bien avant 2pac ou Mélenchon), des salaires ou des solutions techniques, Better Place ne savait pas faire dans la simplicité. La taille d’une start-up avec la lourdeur d’un conglomérat.

Quid également de la logistique des batteries qui nécessite beaucoup de place en cas de forte rotation (et a fortiori en cas de succès), puisqu’il faut charger les batteries échangées, les maintenir en état et disposer d’un stock afin de réapprovisionner les clients venant déposer leur batterie vide. Une contrainte de plus lorsque le mètre carré est dispendieux.

Better Place souffrait en outre d’un manque de compétences automobiles, la plupart des salariés venant de l’IT. L’entreprise n’avait probablement pas intégré les cycles longs propres aux développements automobiles. Par ailleurs, Better Place pensait pouvoir tout faire par elle-même. A commencer par l’infotainment de la voiture, baptisé OSCAR (OS + car, malin). 60 millions de Dollars ont été dépensés pour faire ce qu’une entreprise tierce aurait très bien pu adapter (c’est le cœur de métier de Tomtom ou Garmin, par exemple). Alors que Better Place consommait toutes ses réserves, une nouvelle levée de fonds a pu être réalisée, atteignant 200 millions de Dollars (loin des 350 espérés). Mais les dépenses ne se calment pas.

Shai Agassi est invité à quitter Better Place. Le 2 octobre 2012, il tire sa révérence et laisse un mot aux salariés, ne montrant aucune aigreur. Il leur dit qu’il croit toujours dans l’échange de batterie et qu’il aura toujours le sourire lorsqu’OSCAR l’accueillera au démarrage de sa Fluence. Evan Thornley lui succède mais il ne parviendra pas à sauver Better Place, mise en faillite en mai 2013. Deux tentatives de rachat auront lieu à l’été mais aucune n’aboutira faute d’argent. L’entreprise est liquidée à la fin de l’année. Un très bon papier anglophone de Fast Company retrace la création du projet et les raisons de sa chute, je vous invite à le lire si vous souhaitez aller plus loin. Nous vous recommandons également chaudement le livre « Israël, a start-up nation » dont l’introduction, rédigée en 2009 présente le début de l’aventure Better Place avec une intéressante perspective et de nombreux détails.

Nous vous recommandons également chaudement le livre « Israël, la nation start-up » dont l’introduction, rédigée en 2009 présente le début de l’aventure Better Place avec une intéressante perspective et de nombreux détails.

Nature morte : une station d’échange de batteries

La station que vous voyez ici se trouve le long de la route 90 à Yotveta, à 40 kilomètres au Nord d’Eilat (bâtiment en construction visible sur Google Street View). A noter que des bornes de charge Better Place sont également présentes en Israël, en sus des centres de changement de batterie. Ici en photo, deux bornes d’un parking à Eilat, la ville balnéaire du Sud d’Israël, au bord de la Mer Rouge. J’ignore si lesdites bornes étaient fonctionnelles ou non. La diode rouge paraît indiquer un semblant de vie.

Revenons à la station d’échange de batteries de la route 90. Accolé à une station essence, comme ce fut souvent le cas, le bâtiment Better Place se signale par un imposant totem et présente un joli design lisse renvoyant à l’univers de la Silicon Valley avec sa couleur blanche, ses pastilles « Drive, Switch, Go » colorées et son style épuré. Inutile de dire que tout ceci tranche avec l’inintéressante station essence Sonol qui se trouve à deux pas. Sur le flanc gauche de la station Better Place, se trouvent deux places de stationnement desservies par une borne de recharge. L’ensemble était estimé à 500 000 Dollars, l’objectif de Better Place étant de mailler le territoire israélien avec  40 stations, il aurait donc fallu 20 millions de Dollars pour finir de bâtir le réseau. En 2013, 37 stations avaient ouvert en Terre Promise. Objectif atteint, de ce point de vue.

A l’entrée de la station, un panneau « Shalom » vous accueille, une barrière et un rideau bleu, définitivement fermés donnaient auparavant accès à la zone d’échange de batteries. A l’intérieur de celle-ci, la Fluence ZE se séparait de son pack, logé en porte-à-faux arrière, au dos de la banquette, plus précisément, pour en récupérer un autre, chargé. Une fois la courte opération terminée (5 minutes, le temps d’un plein d’essence), le rideau s’ouvrait et la voiture pouvait sortir, un panneau « Leitraot » vous disant au revoir en hébreux dans le texte.

Retrouvez ici une vidéo du changement de batteries :

Depuis, la poussière s’est installée, la station ayant fermé suite à la faillite de l’entreprise. Après quelques mois de service, donc, et sans doute peu d’utilisations quand on sait que Better Place n’a immatriculé que 940 voitures en Israël (auxquelles s’ajoutent 400 Fluence ZE au Danemark). Les premières livraisons ont eu lieu en janvier 2012, il s’agit donc d’un score très anecdotique sur un marché dont le volume annuel est de 250 000 voitures. A noter que les Fluence ZE israéliennes n’étaient pas commercialisées par Carosso, l’importateur de Renault, mais par Better Place. Elles recevaient ainsi un monogramme de la marque sur chaque porte avant. Autre spécificité, l’infotainment était OSCAR et non le Carminat de Renault. De véritables collectors.

Que reste-t-il aujourd’hui du concept de l’échange de batteries ? Plus rien si ce n’est une prestation que Tesla a délaissée immédiatement après l’avoir présentée en 2013 (une seule station de démonstration construite par l’américain) et des stations Better Place abandonnées. Dommage, l’idée avait de la pertinence quand on sait que le temps de recharge est le problème numéro 1 aux yeux de la clientèle. Shai Agassi avait trouvé une solution, mais celle-ci était quasi-impossible à réaliser pour diverses raisons. Une solution vouée à l’échec. Cinq ans plus tard, la voiture électrique nous est encore présentée comme l’unique avenir de l’automobile, en particulier par ceux qui roulent en thermique avec un chauffeur. Et les différents problèmes liés au temps de recharge ne sont toujours pas résolus. Pas plus que ceux liés aux métaux rares ou au recyclage. Rendez-vous au prochain épisode, lorsqu’un futur briseur de paradigme inventera une solution qui, espérons-le, sera la solution.

Via Wikipédia, Fast Company, Yale, TED.

Crédits photos : Le Nouvel Automobiliste

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