20 juin 2016. En cette veille d’été, l’usine PSA de Rennes accueille un invité de marque. Carlos Tavares, président du groupe, a fait le déplacement pour faire une annonce de taille pour le site breton : celle d’investir 100 millions d’euros dans les prochaines années, afin d’offrir un nouveau souffle au centre de production cinquantenaire, dont la survie n’a parfois tenu qu’à un fil dans le courant des années 2010. De quoi construire une ligne de montage en repartant d’une feuille blanche, et se caler aux standards les plus actuels de production dans une usine automobile. A la clé ? L’affectation à la production d’un nouveau modèle, le C5 Aircross qui devrait, si l’on en croit l’ambition des dirigeants de Citroën, venir remplir le planning de production de Rennes, déjà bien chargé à assembler le Peugeot 5008 dont le succès ne se dément plus. Nous avons donc suivi la genèse du C5 Aircross que l’on devrait commencer à apercevoir sur nos routes dès le début de l’année 2019.
Historique de l’usine PSA de Rennes
1960 : il était une fois une usine de production automobile
Pour bien comprendre les mutations subies par l’usine de Rennes, encore faut-il avoir en tête l’historique du centre de production. Lequel écrit son premier chapitre en 1960. En grande pompe, le Général de Gaulle vient inaugurer ce qui constituera le premier lieu d’assemblage en dehors de la région parisienne de la marque Citroën. Alors que les acteurs économiques et politiques de Bretagne souhaitent industrialiser une région encore – trop – rurale, les dirigeants de la marque aux chevrons recherchent quant à eux à délocaliser la fabrication, dans l’idée de profiter de coûts salariaux plus faibles, grâce à des opérateurs qui étaient auparavant paysans. A ce titre, Rennes restera longtemps connue pour l’efficacité de sa main-d’œuvre, et son faible taux de syndicalisation.
Dans un contexte de pleine croissance du parc automobile hexagonal, on peut alors se permettre de voir les choses en grand. L’usine est dimensionnée de sorte à pouvoir produire 400.000 véhicules par an sur 3 lignes ; chiffre qui ne sera jamais atteint. Des générations de Citroën se succèdent à Rennes : Ami 6, Ami 8, Dyane, GS, Visa, BX, ZX, AX, XM, Xantia et Xsara, et dans une moindre mesure 2 CV et Mehari rythmeront le quotidien du site bretillien et de ses 14.000 employés pendant 4 décennies. Pas même l’intégration de Citroën au Groupe PSA en 1976 ne permettra de faire entrer une Peugeot à Rennes.
Début des années 2000 : se concentrer sur le haut de gamme
Paradoxalement, c’est un choix stratégique réalisé à la lumière des bonnes performances de l’usine qui engendrera des difficultés pour le site de Rennes. Dès la fin des années 90, lors de la définition de la politique plate-forme de PSA Peugeot Citroën, il est décidé que Rennes La Janais, de par sa capacité à produire des voitures de bonne qualité, est légitime pour être le site qui produira les modèles basés sur la plus grande plate-forme du groupe, appelée BVH3. Ainsi, c’est uniquement à Rennes pour l’Europe que les Citroën C5, Citroën C6, Peugeot 407 – la première Peugeot made in Rennes ! – et la première génération de Peugeot 508 seront assemblées. Malheureusement, la concaténation de plusieurs facteurs, tels que la crise économique et le repositionnement du marché automobile vers de nouvelles silhouettes plus hautes font que les performances commerciales ne seront pas au niveau de ce qui était escompté. Et ce n’est pas l’allocation ponctuelle de la production de véhicules basés sur d’autres plate-formes (Citroën Xsara Picasso et Peugeot 607) qui permettra de remplir les plannings de production. A la fin des années 2000, PSA Rennes, très largement sur-capacitaire, doit donc procéder à un réajustement de son dispositif industriel : passage de 3 à 2 lignes (dont une dédiée aux véhicules de niche), pour ramener la capacité de production à 200.000 véhicules, chiffre qui ne sera pas atteint non plus. Après l’arrêt des Citroën C6 et Peugeot 407 Coupé, l’usine passe alors en mono-ligne, pour ne plus assembler que les Citroën C5 et Peugeot 508.
Depuis 2014 : transformer l’usine pour perdurer
Avec des volumes qui se sont effondrés au début des années 2010, d’aucuns doutaient de la pérennité de l’usine. Aussi, l’annonce en 2014 de l’implémentation de le nouvelle plate-forme EMP2 (destinée aux véhicules de milieu et haut de gamme du groupe) est vécue comme une bouffée d’air frais. Cela signifie l’affectation d’un nouveau modèle à produire, de code P87, alias Peugeot 5008 dont les très bonnes performances commerciales (plus de 7000 unités vendues par mois en Europe depuis le début de l’année 2018) font tourner l’usine, après l’arrêt des Citroën C5 et Peugeot 508. En 2018, plus de 100.000 voitures seront produites sur le site, contre un volume compris entre 55.000 et 60.000 unités en 2015 et 2016. Afin de suivre la cadence, une deuxième équipe a été instaurée en avril 2017, puis une troisième en juillet 2017. Difficile cependant d’imaginer faire tourner une usine avec un seul modèle. Les cycles produit étant ce qu’ils sont, cela n’assurerait pas une charge de travail constante pour l’usine au fil du temps. C’est pourquoi il fallait un nouveau véhicule à produire : ce sera le C5 Aircross, dont nous sommes allés découvrir la fabrication des premiers exemplaires sur la ligne ! Pour ce faire, plus de 100 millions d’euros d’investissements ont été consentis.
La transformation de l’usine PSA de Rennes
Thérèse Joder, directrice de l’usine PSA de Rennes, l’affirme : grâce aux investissements réalisés, c’est la compétitivité retrouvée pour le site breton. Il n’en fallait probablement pas moins pour se voir affecter la production du C5 Aircross, alors que le site de Mulhouse produit le proche cousin technique DS 7 Crossback, et Sochaux les Peugeot 3008 et Opel Grandland X (et prochainement sur le site Opel d’Eisenach pour ce dernier). La dirigeante insiste sur toutes les perspectives intéressantes que cela ouvre, mais aussi sur la nécessité de procéder à un juste dimensionnement de l’usine. L’idée est de ne pas se retrouver, comme par le passé, avec un outil de production sur-capacitaire entrainant des surcoûts d’exploitation.
Pour ce faire, la surface utilisée pour la production des voitures a été très largement réduite. Le bâtiment qui regroupait auparavant le montage et le contrôle qualité, a dû en plus faire de la place pour accueillir une nouvelle zone de kitting, le service logistique, un tout nouvel atelier de ferrage, ainsi que des fournisseurs directement implantés dans l’usine !
La peinture, elle, reste dans son bâtiment dédié, mais les voitures se revêtent de leur teinte grâce à un nouveau procédé dit « gamme courte ». A la clé, grâce à l’emploi d’une nouvelle chimie, la suppression d’une cuve. Ce sont autant de temps et de place de gagnés.
Notre visite commence par l’atelier ferrage, qui est encore abrité dans un autre bâtiment à titre provisoire, en attendant que le démantèlement de l’ancienne ligne de montage permette de le relocaliser dans le nouveau bâtiment que nous évoquâmes juste au-dessus. Nous y voyons notamment la ligne MEF (Montage des Éléments Finis) qui a été adaptée aux spécificités du C5 Aircross, et dont le rôle est d’attacher les ouvrants et panneaux latéraux à la caisse. A l’issue du passage d’un véhicule sur cette ligne, se trouve un box de contrôle. Des mesures y sont effectuées par un opérateur, de même que des comparaisons avec des gabarits. Cela permet de valider la conformité géométrique et l’aspect visuel du véhicule qui est contrôlé. Si les 4300 points de soudure sont systématiquement vérifiés sur tous les premiers véhicules de pré-série, un point de contrôle séquentiel est ensuite mis en place au fil du temps. Lors du passage à la production en série, c’est un plan de surveillance qui déterminera les fréquences du contrôle, faisant la balance entre le temps passé à contrôler un véhicule, et le risque de devoir rattraper un en-cours de production trop important pour défaut de conformité géométrique.
A l’issue du ferrage et de la peinture, direction le montage pour une voiture en cours de production ! Le nouvel atelier, compacté, avait pour principale contrainte de « faire du neuf avec du vieux ». En clair, reconstruire de nouveaux outillages sur un sol identique à l’origine, de même que le plafond et les alimentations en énergies qui sont restés intacts, tout en interdisant d’ajouter des prises en génie civil pour plus de flexibilité. Les nouvelles installations se devaient aussi de pouvoir permettre la production de 150.000 à 160.000 unités par an, à raison de 525 voitures par jour de la semaine, et 700 le week-end. Si jamais le total de commandes des Peugeot 5008 et Citroën C5 Aircross excède ce chiffre (ce qui est plus que probable eu égard aux performance actuelles du 5008, et aux prévisions de ventes du C5 Aircross – 110.000 ventes pour tous les marchés hors Chine), alors une partie de la production du Peugeot 5008 sera déportée sur le site de Sochaux.
Le défi aurait été trop facile s’il n’avait pas fallu assurer la continuité de la production pendant la phase d’installation de la nouvelle ligne. Ainsi, pendant une période transitoire, les 2 lignes ont cohabité en parallèle. La première, la deuxième et la troisième équipe se sont ainsi déportées progressivement sur la nouvelle installation au fil des semaines. Depuis le mois de mars 2018, la nouvelle ligne est en phase de ramp-up (allergiques aux anglicismes, entendez phase de montée en cadence), et atteindra sa pleine capacité en 2019. Aux dires des responsables de production, « on ne prendra pas le risque d’avoir 6 ou 8 mois de délais de livraison ».