Le Nouvel Automobiliste
Saga Renault Turbo RS10

Renault et la saga TURBO

Je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, le Turbo en ces temps-là était encore rare. Synonyme dans les années 80 de sportivité, ces cinq lettres trônaient fièrement sur la face arrière des véhicules qui en étaient équipés. Ce composant, qui s’est au fil du temps civilisé et […]

Je vous parle d’un temps que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, le Turbo en ces temps-là était encore rare. Synonyme dans les années 80 de sportivité, ces cinq lettres trônaient fièrement sur la face arrière des véhicules qui en étaient équipés. Ce composant, qui s’est au fil du temps civilisé et démocratisé, est devenu aujourd’hui quasi indispensable afin de répondre aux exigences de sobriété sans sacrifier l’agrément des moteurs. C’est à l’occasion du quarantième anniversaire de la première victoire d’un moteur Turbo en Formule 1 de Renault, que nous vous proposons de nous plonger dans l’histoire singulière de cet organe qui a révolutionné le moteur thermique. Nous avons eu le plaisir en juillet dernier de célébrer cet anniversaire avec Renault qui a permis pour l’occasion de rouler avec certains des véhicules exposés au dernier salon rétromobile et d’assister à des démonstrations. Dans ces pages nous vous exposerons le parcours du constructeur en tant que pionnier de cette technologie puis nous vous ferons vivre l’expérience d’une journée à côtoyer les modèles emblématiques de cette époque.

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Une technologie inventée en partie par Louis Renault au début du XXe siècle

Alors que le brevet de principe de la suralimentation par compresseur fut déposé par Louis Renault dès 1902, le turbocompresseur fut breveté en 1905 par l’ingénieur suisse Alfred Büchi. La turbo-compression consiste à gaver en air l’admission moteur au moyen d’un compresseur qui est mû par une turbine utilisant l’énergie cinétique des gaz d’échappement. Ses premières applications industrielles datant de l’entre deux guerres étaient destinées à l’aéronautique. Le système permettait de faire fonctionner les moteurs à explosion au-delà de 3000 mètres environ, seuil à partir duquel la concentration en oxygène de l’air devenait insuffisante pour les moteurs atmosphériques. Les avions purent ainsi aller à des altitudes au-delà des 10000 m, avec au passage une augmentation de puissance pour une même cylindrée.

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Petit et gros turbos

Ce fut ensuite l’industrie du poids lourd qui reprit cette technologie dans les années cinquante avec les premiers turbo Diesel de Man et Volvo, mais la technologie était encore loin d’être mature pour l’industrie automobile. De nombreux problèmes devaient être réglés pour répondre aux contraintes propres à l’automobile avec un fonctionnement fiable et performant pour supporter de fortes variations de régimes de fonctionnement, le tout pour un coût de production série acceptable.

Des expérimentations compliquées mais couronnées de succès pour Renault dans les années 70

Après les nombreux succès d’Alpine en compétition dans les années soixante, Renault souhaita participer aux 24 heures du Mans. Le moteur Alpine V6 de deux litres était certes performant mais d’une puissance très insuffisante pour le Mans. Compte tenu des investissements nécessaires au développement d’un nouveau moteur, l’idée de « turbocompresser » le V6 germa dans la tête des motoristes Alpine à Viry-Chatillon. Renault expérimenta en 1972 la turbocompression sur une Alpine A110 1600S lors du Critérium des Cévennes. Bien que très difficile à piloter avec un temps de réponse de trois secondes, l’auto remporta à la surprise générale l’épreuve. Renault développa alors un prototype Alpine afin de participer aux 24 heures du Mans.

Si les deux premières tentatives aboutissent à un échec avec l’A441, l’A442 remporta l’épreuve devant Porsche en 1978. Renault se désengagea alors de l’endurance pour se concentrer uniquement sur la F1. Un engagement conditionné par Bernard Hanon, PDG de Renault à l’époque, par l’intégration d’un moteur Turbo.

Renault débuta en F1 en 1977 à l’occasion du Grand Prix de Grande-Bretagne, avec la RS01 conduite par Jean-Pierre Jabouille. Alors que le plateau de l’époque était motorisé par de gros V8 et V12 de 3 litres, l’écurie Renault avait un moteur beaucoup plus compact, plus léger et plus sobre, le 1,5 litre V6 turbocompressé de 510 chevaux. Débuter dans la discipline automobile reine en prenant un tel risque technologique demanda beaucoup d’abnégation aux membres de l’écurie. A l’époque, le Turbo n’en n’est qu’à ses balbutiements dans l’industrie automobile, même si de rares constructeurs avaient déjà osé l’intégrer en série. C’est le cas de SAAB qui opta pour ce choix afin de remotoriser à moindre coût sa vieille « 99 » en 1977 avec des résultats remarquables : 40 % de puissance supplémentaire !

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BMW 2002 turbo

BMW l’utilisa aussi en compétition et en série dès 1973 sur la 2002 Turbo, puis en Groupe 5 avec la CSL à partir de 1979 mais ce n’est qu’en 1982 que BMW opta pour le turbo en Formule 1.

Pour Renault, deux ans de développement continu et de mise au point furent nécessaires avant d’inscrire les premiers points en Grand Prix. La RS01 fut victime de nombreuses casses moteurs ce qui lui valut le sobriquet de « yellow tea pot«  de par sa forme particulière et de la fumée générée lors de tels incidents. Le moteur Turbo n’était pas des plus simples à utiliser, comme nous le témoigna le second pilote de l’écurie qui rejoignit l’équipe en 1979, René Arnoux.

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L’inertie du turbo était telle qu’il fallait minimiser les temps de freinage, donc freiner le plus tard possible et maintenir un filet de gaz en virage afin de conserver la vitesse de rotation de la turbine, sous peine de subir un manque de puissance en sortie de virage. Le temps de latence du turbo était suivi d’une arrivée brutale de la puissance moteur, ce qui était redouté en virage. Le dosage était délicat et rajoutait un paramètre supplémentaire à considérer par le pilote rendant le pilotage peu intuitif par rapport aux moteurs atmosphériques concurrents. Les équipes d’ingénierie tachèrent de minimiser ces défauts en travaillant notamment sur trois axes :

  • La minimisation des temps de freinage, en augmentant l’adhérence. Pour cela, l’évolution la plus remarquable fut l’intégration des jupes latérales sur la RS10 qui permit d’augmenter l’appui aérodynamique.
  • La réduction du temps de réponse du turbo. La turbine de la RS01 fut alors remplacée par 2 turbines plus petites sur la RS10, au déclenchement plus précoce.
  • Et bien sûr la fiabilité.

La première victoire en Formule 1

A l’occasion de sa seconde participation en Grand Prix, la RS10 marqua les esprits au Grand Prix de France en s’adjugeant les première et troisième places, remportées respectivement par Jean Pierre Jabouille et René Arnoux après une passe d’arme qui restera dans les annales de la F1
pour ce dernier contre Gilles Villeneuve. Selon René Arnoux, la configuration de ce circuit se prêta bien à la RS10 par ses nombreuses portions rapides et le peu de sections lentes qui étaient encore pénalisantes pour le moteur Renault. D’autres améliorations furent apportées par la suite, avec par exemple l’ajout d’une soupape créant le vide au lâcher de l’accélérateur pour maintenir la vitesse de rotation de la turbine. Les résultats suivirent, entre 1979 et 1985 Renault s’adjugea trente et une poles positions et remporta 19 Grands Prix. Mais pas de couronne mondiale!
La concurrence emboîta le pas seulement en 1982, puis le Turbo devint indispensable en F1 jusqu’à son interdiction en 1988 car les puissances atteintes étaient jugées déraisonnables. Certaines monoplaces ont pu atteindre plus de 1500 chevaux DIN en qualification ! A l’époque, il était normal de consommer un moteur pour quelques tours afin d’arracher une première place sur la grille de départ !

Et la R5 Turbo fut !

En parallèle et dès 1977, les équipes de développement Renault commencèrent à travailler sur une version radicale de la très populaire R5. Le véhicule devait à la fois augmenter l’image de la Renault 5 tout en permettant à Renault d’homologuer ces véhicules pour les compétitions FIA Groupe 3 et Groupe 4. Elle fit le bonheur de Jean Ragnotti qui remporta à son volant le rallye de Monte Carlo en 1981.

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La caisse de Jean Ragnotti

Le moteur de la R5 turbo dérive du 1,4 l Cléon dont la suralimentation porte la puissance à 160 chevaux. Avec sa silhouette trapue, son moteur à l’arrière, et son châssis affuté, la R5 turbo est un monstre. Quelques tours sur le circuit de la Ferté Gaucher nous ont dévoilé le potentiel de la bête. Nous avons pu conduire une R5 turbo 2 qui se différencie de la R5 turbo 1 par son intérieur douillet repris de la R5 Alpine turbo en velours beige et la disparition des pièces de carrosserie en aluminium.

En sortie des stands, la R5 Turbo semble délivrer modestement une cinquantaine de chevaux, mais dès que le régime atteint les 3 000 tours, le conducteur et son passager se retrouvent plaqués au siège. A l’arrière le moteur hurle et réchauffe les occupants au fil des tours rythmés par le bruit de dégazage du turbo. Menée par un vrai pilote, la R5 turbo est redoutable. Celle-ci est littéralement scotchée à la route et se comporte presque comme un karting. Les quelques tours en Mégane RS effectués par la suite ont semblé bien fades, bien que cette dernière soit plus efficace. Peut-être à cause d’une filtration importante des bruits et des vibrations et d’un roulis plus prononcé pour la petite dernière.

Des Turbos bichonnées par les ateliers de Renault Classic

La célébration du quarantième anniversaire a été l’occasion de découvrir
la gamme de l’époque Turbo restaurée par Renault Classic et d’en prendre le volant. Quel plaisir de redécouvrir les véhicules de notre enfance présentant un extérieur quasiment neuf ! Les peintures ont été refaites dans les règles de l’art et respectent les couleurs d’origine. Les éléments d’étanchéité ont été généralement remplacés renforçant ainsi la qualité du résultat. Les habitacles sont également dans un très bel état de conservation. Au besoin, certains éléments ont été remplacés par des éléments neufs, comme par exemple les garnitures de pavillon qui sont bien souvent les premières victimes des affres du temps. Les mécaniques étaient évidemment dans un bon état de fonctionnement et très propre visuellement mais portaient tout de même leur âge. Consigne était donnée d’éviter les excès et de prendre bien soin des boîtes de vitesses.

Présentation des stars du jour

Dans les années 80 et début des années 90 quasiment toute la gamme a pu bénéficier de sa version Turbo. L’exposition a mis en valeur la plupart de ces modèles avec par ordre de commercialisation : la R5 Turbo (1980), la R5 Alpine Turbo (1981), la R18 Turbo (1981), la Fuego Turbo (1983), les R9/11 Turbo (1984/85), la R5 GT Turbo (1985), la R21 Turbo (1987), la R25 Turbo (1990) et la Safrane Bi-Turbo (1994). Il ne faut pas non plus oublier les deux Formule 1 RS10 qui ont fait l’objet d’une restauration intégrale. Malgré la fragilité de leur motorisation, Renault n’a pas hésité à convier René Arnoux pour faire une démonstration musclée de quelques tours en période de canicule.

Ce panel permet de distinguer 2 époques Turbo pour Renault.
Dans un premier temps, de la R5 à la R21, le turbo était le moyen de proposer des motorisations légères et sur-vitaminées pour des véhicules à connotation sportive. Toutes mettent en valeur fièrement leur ramage avec un plumage assez voyant : de gros autocollants TURBO, un becquet sur la malle arrière, des boucliers spécifiques, des bas de caisse, des jantes sport, elles montrent leurs muscles. Pour les intérieurs, ces véhicules montaient en gamme avec l’intégration de confortables sièges « sports » en velours, des moquettes plus épaisses, un volant et des compteurs de vitesse spécifiques avec parfois des touches de coloris flashys comme pour la R5 Turbo 1 et la R18.

Dans un second temps il y eut les Renault 25 et la Safrane pour lesquelles Renault turbocompressa le V6 PRV avec l’ambition de tutoyer les concurrentes allemandes. Pour cette dernière, le constructeur collabora d’ailleurs avec le préparateur allemand Hartge pour en sortir 268 chevaux, mais le succès ne fut pas au rendez-vous. Difficile de convaincre un client d’investir dans une Renault plus chère qu’une allemande mue par un V8 !

Des vitesses qui accrochent pour mon rapport d’étonnement

Prendre le volant d’automobiles de 35 ans en moyenne est non seulement excitant quand il s’agit de sportives, mais il est aussi source d’étonnement et de nostalgie quand on a à peu près le même âge. Voici quelques impressions après avoir bouclé 3 tours sur le circuit de la Ferté Gaucher avec les R5 Turbo, R18 Turbo, R9 Turbo, R5 GT Turbo, R21 Turbo et Safrane Bi-Turbo.

Pour commencer, qu’il est difficile de trouver sa position de conduite quand on a l’habitude des réglages aux petits oignons des voitures contemporaines. Pour ma part, il a fallu m’adapter à une conduite avec les mains en position très avancée à mon goût. Même la Safrane bi-turbo, qui dispose pourtant d’un volant réglable électriquement est déroutante, car la profondeur est dépendante de la hauteur du volant. Par contre, les sièges sont accueillants. A l’époque les sièges d’une voiture française se devaient d’être très moelleux. Et les garnitures des sièges, en velours sur les milieux de gamme, étaient bien plus agréables au toucher que les tissus rêches dont on doit se contenter depuis une quinzaine d’année si l’on n’a pas opté pour le cuir. Le nez a également été sollicité durant les essais : à l’époque, une voiture essence ça sentait légèrement l’essence dans l’habitacle, abstraction faite de la Safrane et de la R25.

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Start your engines!

Pour tirer la quintessence des moteurs turbo, les instructeurs nous ont aidés à prendre les trajectoires et les régimes moteurs appropriés. Mais gare au maniement peu précis des leviers de vitesse des R5, R11 et R18. Les vitesses de ces mamies sont à passer tranquillement ! Pour chacune, un ou deux rapports accrochent ce qui a compliqué l’exercice. Cela devenait plus facile sur la Renault 21 et la Safrane même s’il y a toujours eu un rapport un peu rebelle. Autre grief, il n’y avait pour la plupart des modèles pas de direction assistée. L’absence de cet équipement (hors Renault Safrane et R21) s’est faite surtout ressentir à très basse vitesse, cela devenait ensuite acceptable pour un nouvel automobiliste à l’exception de la Renault 18 pour laquelle changer un rapport dans un virage n’est pas une mince affaire.

Toutes ces imperfections n’ont pas gâché le plaisir en tout cas, bien au contraire et j’ai été gratifié de belles accélérations durant tous ces essais.

Pour conclure, mes favorites

Et non ce n’est pas une Skoda ! J’ai apprécié particulièrement les plus petites Renault. La configuration de l’essai n’est sans doute pas étranger à cela ; un essai sur route et autoroute aurait rebattu les cartes. En tout cas la R5 Turbo m’a tout simplement bluffé et je comprends l’engouement de l’époque. Sa légèreté, sa puissance, son efficacité procure un grand plaisir. Malheureusement il est trop tard pour en trouver une d’origine en bon état et à un prix abordable car bon nombre ont fini accidentées ou massacrées par des fous de tuning. Comptez actuellement plus de 100.000 € pour une Turbo 1 et 75.000 € pour une Turbo 2 ! Moins radicale, la R5 GT turbo est facile à conduire, maniable, puissante (120 chevaux) et légère (830 kg) ce qui permet de s’amuser rapidement à son volant. Il faut tout de même compter plus de 15.000 € pour en dénicher une. La R9 (et sa sœur R11) par conséquent) est une belle surprise. Derrière une robe très sage, voire quelconque, se cache une sportive de 115 chevaux et 930 kg presque aussi joueuse qu’une R5 GT Turbo.

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