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AMC Cavalier

AMC Cavalier : origins of symmetry

Alors que Citroën vient de présenter la version de série de son étonnant concept Ami ONE, révélé l’an passé, on voit que la marque aux Chevrons a poussé très loin le concept de la symétrie. En effet, la Citroën Ami de série est restée fidèle aux principes annoncés par le show car de 2019. Et c’est la première fois qu’un modèle de série va jusqu’au bout de cette idée. Une idée loin d’être nouvelle, matérialisée à dose homéopathique sur d’autres voitures mais surtout brillamment exécutée sur un concept car très réaliste de 1966 : l’AMC Cavalier, dessinée par Richard A. Teague. Rendons à César ce qui appartient à Richard.

Retour sur la carrière de Richard A. Teague

Avant d’aborder le cas de l’AMC Cavalier, un petit détour s’impose par la carrière de son designer, Richard A. Teague (1923 – 1991, dit Dick Teague), dont la principale originalité aura été de travailler pour les constructeurs les plus contraints des Etats-Unis. Et des différentes contraintes liées aux contextes de ses employeurs, Teague tirera une étonnante créativité.

Si la carrière de Teague débute en 1947 pour GM en tant qu’apprenti où il termine au sein du studio avancé de Cadillac. C’est en 1952 qu’il rejoint le constructeur Packard, déjà étouffé sous la domination des « Big Threes » de Detroit que sont Chrysler, Ford et GM. A son nouveau poste de designer en chef, il est en charge du restylage des modèles pour 1953. Peu à peu, il montre son talent pour mettre à jour les designs des voitures en dépit de budgets limités, comme lors du millésime 55, suivant d’une année le rachat de Studebaker, autre constructeur dans l’ombre des géants de Détroit, et qui a sérieusement mis à mal les finances de Packard. Alors que Teague tente tant bien que mal de créer le millésime 57, les activités automobiles de Packard prennent fin et l’équipe de style se voit rattachée à Chrysler. Teague quitte rapidement son nouvel employeur et met temporairement fin à ses activités de design automobile…

Mais seulement pour quelques mois : en 1959, c’est un autre constructeur vivant dans le ventre mou du marché américain qui fait appel à lui. American Motors Corporation (AMC) recrute Teague puis le promeut designer principal en 1961. C’est là que l’américain signe ses plus grandes œuvres. Et toujours avec son talent de faire le maximum avec des ressources limitées. C’est ainsi qu’il n’hésite pas à recycler des composants existants sur d’autres modèles AMC pour restyler une partie de la gamme. Ce qui peut aujourd’hui sonner comme une évidence ne l’était alors pas dans une Amérique qui changeait ses designs à chaque millésime. Les japonais et les chocs pétroliers se sont plus tard chargés de remettre un peu de rationalité dans tout ça.

Mais AMC voit bien qu’il ne peut pas rester qu’un constructeur de voitures économiques et l’arrivée d’un « sports car guy » (Roy D. Chaplin JR.) à la tête du design vers le milieu des années 60 va permettre à Teague de signer quelques véhicules pleins de caractère comme les AMC Javelin ou le concept AMX. Et alors que les années 70 arrivent avec leur lot de contraintes économiques, AMC, à travers les crayons de Teague, pense déjà aux « voitures à vivre ». Prémonitoire pour une entreprise qui finira rachetée par Renault, avant d’être livrée à Chrysler par un Losange exsangue. De cette volonté de faire des voitures destinées aux passagers, Teague fait naître la fameuse Pacer dont nous avions parlé ici. Une voiture qui a inspiré le style de la Porsche 928, rien que cela. Et si la Pacer est si large, ce n’est pas sans raison : elle pouvait partager sa ligne d’assemblage et divers composants avec les grosses AMC sans devoir réoutiller une partie de la ligne de production. La contrainte libère la créativité, vous dis-je !

Alors que les années Renault voient se dérouler les dernières années de carrière pour Teague, ce dernier signe un de ses plus mémorable designs : le Jeep Cherokee XJ de 1984, un succès incontestable du constructeur américain alors propriété d’AMC et donc, de Renault. Un design quasi inchangé jusqu’en 2001 (voire 2005 si l’on tient compte de ses dernières années de production en Chine). Sa dernière voiture pour AMC sera le projet Renault X59 (destiné à s’appeler Renault Allure), un coupé sur base de la Premier, devenue Eagle Premier juste avant sa commercialisation, dès lors que Chrysler avait fait main basse sur les activités américaines de Renault. Car si la berline Premier était signée Giugiaro, le coupé, lui, présentait un style plus moderne, et plus typé Renault. Mais le changement de maître à bord aura tué le projet. Teague a déjà entamé sa retraite et décède en 1991, laissant derrière lui une belle collection de designs automobiles… Dont l’AMC Cavalier qui nous intéresse aujourd’hui.

AMC Cavalier : on n’est jamais aussi créatif que lorsqu’on est sous contrainte

Mettre en contrainte un projet permet aux équipes qui y travaillent d’accoucher d’idées intéressantes. A titre d’exemple, la première Dacia Logan (X90) avait recours à des vitres latérales symétriques (arrière droit avec arrière gauche et de même à l’avant), idem pour les baguettes de protections latérales, les rétroviseurs se montant indifféremment d’un côté ou de l’autre ou les répétiteurs de clignotants latéraux. Le gain est évident : moins d’investissements dans les outillages spécifiques, de plus grandes cadences, un prix de revient abaissé. Il n’en fallait pas moins (il en a d’ailleurs fallu bien plus) pour tenir le pari de la fameuse « voiture à 5 000 $ » de Louis Schweitzer. Plus près de nous, rappelons-nous du concept car Citroën Cactus de 2007 avec ses faces avant et arrière symétriques.

Plus loin dans le temps, toujours pour des raisons de réduction de coûts, l’AMC Hornet de 1970 disposait de pare-chocs avant/arrière interchangeables. Et son designer ? Je vous laisse deviner (un indice : on en a parlé plus haut dans ce texte…). Ces idées ne venaient pas de nulle part : elles ont été défrichées par un concept car du constructeur américain. L’AMC Cavalier. A l’image de Serge Karamazov, aucun lien avec les Chevrolet ou Vauxhall Cavalier…

L’AMC Cavalier fait partie d’un groupe de concept cars de 1966 du petit constructeur américain. Baptisé Project IV, il comprenait, outre l’objet de notre article, les Vixen, AMX et AMX II, respectivement coupé 4 places, coupé 2 places et re coupé 2 places. L’objectif était de montrer au public que le futur d’AMC s’annonçait prometteur, le constructeur en profitant alors pour se débarrasser du nom Rambler afin d’ancrer la marque aux trois lettres pour ses futurs modèles.

Revenons à notre berline 4 portes baptisée Cavalier. Regardez-la bien. Au vu du thème de l’article, vous avez aisément deviné sa force : une symétrie poussée à son paroxysme. Grâce à ses portes à ouverture antagoniste, l’avant gauche et l’arrière droit ne sont qu’une seule et même pièce tandis que, vous l’aurez brillamment déduit grâce à votre puissance intellectuelle, l’avant droit et l’arrière gauche partagent également la même porte. Et donc, le même vitrage. Et le même mécanisme d’ouverture. Et tout ce qui en découle. Même topo quant aux ailes avant et arrière des côtés opposés, même symétrie entre le capot et la malle de coffre, entre le pare-brise et la lunette arrière ainsi qu’entre le pare-chocs avant et son homologue de l’arrière. Et vous pensiez que les Citroën AMI One et l’Ami de série avaient tout inventé ? Jusqu’à la couleur orange, d’ailleurs, si on veut pousser la comparaison aussi inutilement loin ! Enfin, l’AMC Cavalier ajoutait même des charnières de coffre spécifiques permettant de monter le panneau à hauteur de pavillon pour charger des objets encombrants, à l’image de ce qu’offrirait un break. Malin. Mais je n’en ai malheureusement aucune illustration dans cette position…

Pourtant, malgré ses évidentes symétries, l’AMC Cavalier n’est pas moche, loin s’en faut. Richard A. Teague a stylisé la voiture en lui offrant une dynamique à travers le design du toit et du montant C, garni de vinyle et permettant à la Cavalier de distinguer son rectum de son encéphale (et ainsi, d’éviter le syndrome du « il est où le cul-cul, elle est où la tê-tête ? »). Ajoutez à cela une calandre et des feux arrière au look très différents alternant horizontalité et verticalité, et la voiture passerait pour normale aux yeux d’un néophyte. Pour ainsi dire, l’AMC Cavalier réussit même le pari d’être assez élégante en dépit de sa conception ultra économique !

Et alors que la dernière-née de Citroën se contente de 2 places et d’un petit bloc électrique pour satisfaire à sa vocation de quadricycle urbain, l’AMC Cavalier assume son statut d’américaine des années 60 : 6 places assises et un V8 de 5,6 l constituent ses caractéristiques. Radicale dans son concept, la Cavalier n’a pas pu pousser aussi loin ses idées dans un modèle de série d’AMC. Son héritage restera limité à quelques pièces symétriques comme on l’a vu plus haut sur la Hornet, tandis que le nom Cavalier, déposé entre temps par GM, n’a pas pu être utilisé sur une voiture d’AMC par la suite, le nom Javelin étant retenu sur le coupé de la marque américaine.

Ila donc fallu attendre 54 ans pour voir une voiture, et plus précisément un quadricyle, de série allant aussi loin que l’AMC Cavalier. Citroën a ainsi trouvé sa muse quant aux origines de la symétrie !

Sources : Wikipedia, Jalopnik, Unique Cars & Parts.

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