Le Nouvel Automobiliste
Renault Kangoo

Renault Kangoo : 20 ans et toutes ses dents

Cet été, le Renault Kangoo fête ses 20 ans, tout comme son dérivé VU, le Kangoo Express. 20 ans à séduire les familles, 20 ans à répondre aux besoins des artisans et des flottes, 20 ans à avoir les pneus dans la boue des chantiers, sur le bitume des villes, sur les lignes jaunes des places de livraison, 20 ans à se voir mis à l’épreuve des enfants, 20 ans à avoir le coffre rempli par les parents et 20 ans à assurer le contrat de confiance Darty. Et surtout, 20 ans à passer le clair de son temps à donner du fil à retordre à ses rivaux de chez PSA, Fiat, VW ou Ford. L’occasion est donc toute trouvée pour retracer la carrière du Kangoo.

Après les deux Guerres, c’est encore la guerre

Renault n’a pas inventé l’utilitaire léger de petit format. Il y a longtemps eu des dérivées « commerciales » de différentes voitures de l’entre-deux guerres. Mais durant les 30 Glorieuses, de nouveaux véhicules apparaissent. Premier rejeton d’un nouveau genre : la Citroën 2CV Fourgonnette, en 1951. La recette est simple : une partie avant de Citroën 2CV (capot + cabine) sur laquelle vient se greffer un gros sac à dos. Peu onéreux à développer, ce dérivé répond à une multitude de besoins, dans les villes comme dans les campagnes. Un gabarit réduit, un volume de chargement intéressant, la même facilité de conduite qu’une 2CV, la même économie à l’usage, le même châssis « tous chemins ». Ca fonctionne. Et du côté de la Régie Renault, on n’entend pas laisser Citroën s’accaparer un tel marché. Peu de temps après le lancement de la R4 en 1961, apparaît son dérivé fourgonnette, la F4.

Sur le principe, la F4 est à la R4 ce que la 2CV Fourgonnette est à la Deuche : une « demi-voiture » avec un gros sac à dos. Mais Renault apporte deux atouts : l’un, technique, est le girafon, une ouverture du pavillon, au-dessus de la porte, permettant de charger des objets longs ou hauts. L’autre est commercial : entreprise étatique, Renault sert massivement les entreprises avides de petits utilitaires. Les PTT ou EDF-GDF sont d’excellents clients. Citroën a certes dégainé le premier mais Renault remporte le match de la quantité. Dès lors, les deux entreprises vont se livrer une bataille sans merci à coup de nouveautés.

La 2CV Fourgonnette se renouvelle et devient un dérivé de la Dyane : l’Acadiane, en 1977. Plus d’espace, plus de charge utile, plus de modernité, plus de punch. Renault n’est pas en reste et lance la F6, dotée d’un plus grand volume utile, d’un moteur 1100 de R6 et d’une cabine un peu modernisée. Le match continue avec le lancement de la Citroën C15 en 1985, increvable, dotée d’une cabine de Visa, d’un châssis moderne et surtout, d’une offre diesel, une première pour ce type de véhicules. Renault réplique dès l’année suivante avec l’Express, sur base Supercinq. Encore une fois, Renault jouit des entreprises d’Etat pour imposer sa voiture face à une C15 pourtant plus aboutie et qui s’installe durablement dans les campagnes. Mais surtout, Renault développe un peu sa gamme VP : jusqu’ici marginale, l’offre familiale est mise en avant, et, au fil des ans, propose des équipements de confort digne d’une citadine avec les options vitres électriques ou climatisation. Et peu à peu, les Express familiaux s’installent doucement sur le marché.

Arriva donc ce qui devait arriver : pour succéder au C15 (qui vivra jusqu’en 2007), PSA lance le duo Citroën Berlingo et Peugeot Partner. Pour la première fois, il ne s’agit plus d’un bricolage mais d’une voiture conçue dès le départ pour être déclinée en VU et en VP. Une voiture dessinée par Bertone, excusez du peu, moderne, confortable, basée sur un châssis dérivé de celui de la 306, une voiture dotée de tous les équipements de confort et de sécurité que l’on peut attendre d’une compacte en 1996 (ça ne va pas chercher trop loin, à l’époque) et les voitures intègrent la gamme VP de manière assumée. En particulier chez Citroën qui lance une gamme ludique et colorée baptisée Multispace, en parallèle des finitions VP classiques. La mayonnaise prend sérieusement, mais l’avance de PSA sera de courte durée : dès l’été 1997, Renault réplique. Vous l’avez deviné en effectuant une prodigieuse soustraction : 2017 – 20 = lancement du Kangoo, issu du projet X76.

Préfiguré par le concept car Pangea quelques mois auparavant au salon de Genève (François vous en avait parlé ici), le Kangoo a la lourde de tâche de succéder à l’Express, voiture à succès produite à 1 730 000 exemplaires, mais aussi et surtout de répliquer au tandem Berlingo/Partner de PSA à l’insolente modernité. Pour ce faire, Renault lance une voiture basée sur un châssis de Clio I, bien moins affûté que celui des rivales de PSA. Une voiture à la direction moins aboutie, à la qualité perçue en net retrait et à l’insonorisation moins soignée, sans parler des motorisations moins convaincantes ou des sièges moins confortables. Le projet était en cours depuis 1990.

Mal partie dans la vie la Renault ? C’est sans compter sur le génie du Losange : le Kangoo naît avec plusieurs solides arguments à opposer à la concurrence.

Kangoo ouvre-toi

Premier argument : la porte latérale coulissante. En effet, le premier utilitaire compact à s’en être équipé n’est autre que… l’éphémère Citroën TUB de 1939. Manque de chance pour le Berlingo, Citroën ne s’en est pas souvenu. A force de voir grossir sa clientèle VP, Renault s’est penché sur la question de l’accès aux places arrières, de fort belle manière puisque la porte a également été un excellent argument commercial côté VU avec le Kangoo Express. La clientèle suit et PSA se voit obligé de répliquer en étudiant une porte latérale coulissante en urgence sur ses voitures, conçues sans cette éventualité.

Une fois la fameuse porte commercialisée en 2000, Renault se permet de nouveau de faire la nique à PSA : le Kangoo se dote d’une seconde porte coulissante et le fait savoir par une campagne de pub radio en stéréo. PSA réplique avec une seconde porte quelques mois après. Quant aux portes arrière battantes, elles sont asymétriques depuis le lancement du Kangoo. Lassés de se faire distancer au jeu de l’accessibilité, les Berlingo et Partner proposent un nouvel équipement en lieu et place de leur grand toit ouvrant en toile (optionnel) : le pavillon multifonction, baptisé Modutop chez les Chevrons ou Toit Zénith chez le Lion. Dans les deux cas, on trouve 5 lucarnes fixes, des coffres de rangement et 3 buses d’aération pour agrémenter la vie à bord. Alors le Kangoo profite de son restylage d’avril 2003 pour compenser comme il peut : des coffres de rangement apparaissent.

Kangoo : c’est tout simple et ça va tout changer

Second argument : le design. Renault compense le manque de raffinement de sa voiture en jouant la carte du design ludique et pratique, la présentant comme une 4L de l’an 2000. Des volumes rondouillards, de gros phares globuleux trouvant écho dans le relief du capot, une calandre souriante, des passages de roues surlignés de galbes, des angles arrondis conférant un côté cartoonesque à la voiture et des feux arrière en hauteur pour équilibrer les lignes : Renault a réussi à rendre sa voiture très sympathique malgré une présentation bien moins sophistiquée que sur Berlingo et Partner, traités comme des berlines. Détail amusant, les charnières de portes battantes sont à moitié cachées dans les feux à boîtier gris, tandis que les feux à boîtier rouge sont l’apanage de la version à hayon. Discret mais efficace. Et puisque l’on fait dans le ludique décomplexé, le Kangoo est présenté en jaune. Ses versions hautes disposent aussi d’une planche de bord bleue par endroits. Au diable la qualité perçue, on est presque dans l’univers intérieur de la Twingo. Qu’importe, la recette fonctionne et le public est au rendez-vous : le design interpelle et plaît.

Un design bien aidé par une communication efficace, domaine dans lequel Renault est chroniquement meilleur que PSA. « Kangoo, c’est tout simple et ça va tout changer ». Telle était la campagne de pub du Kangoo VP à son lancement, précédée d’une mémorable campagne de teasing remémorant tous les succès du Losange sur le thème « ça ne marchera jamais ». Vous vous en rappelez sans doute. Tout comme l’enfant disant « Kangoo ! » au lieu de voiture. De son côté, le Kangoo Express est fièrement mis en avant dans des spots montrant des artisans devenus millionnaires grâce à leur outil de travail. Porte coulissante, cloison mobile, siège passager rabattable : les innovations du Kangoo sont valorisées et en font une camionnette cool. A une époque où l’utilitaire est encore un gros mot dans l’esprit des gens, Renault frappe fort. Et la voiture devient un succès de plus pour Renault, après le Scénic de 1996.

Une gamme prolifique

Un succès ne vaut que s’il est entretenu, pérennisé. Alors Renault n’oublie pas son Kangoo. Outre la seconde porte coulissante, le Kangoo reste dans la bataille par le biais de diverses séries spéciales destinées à valoriser les versions VP et à attirer une clientèle encore rétive à ce type de voiture. Alors que Peugeot tente de dévergonder son Partner avec des séries spéciales Quicksilver et Ushuaïa typées baroudeurs [à l’heure où les SUV sont à la mode, on s’étonne de voir l’actuel Partner moins marqué que son prédécesseur dans ce domaine…], Citroën développe sa version Multispace et met en avant le Modutop. A la guerre comme à la guerre, Renault lance la version Pampa avec sa garde au sol surélevée dès 1998, attire les familles avec la Disney Land Paris ou les sportifs avec la Décathlon, tandis que les Allemands ont même droit à un clin d’œil à la Renault 4 avec une série spéciale Parisienne.

Annoncé par le concept Break’up, le restylage de 2003 modernise la face avant, offre une planche de bord plus cossue, des motorisations plus fréquentables (blocs 16v essence, Diesel à injection directe et turbo…). Une version 4×4 est par ailleurs lancée dès 2001 avec un train arrière issue de la récente Alliance Renault-Nissan : le X-Trail fait don de ses organes au Kangoo. Côté VU, une version longue apparaît, baptisée Grand Volume. La vie du premier Kangoo est assez rythmée pour résister aux assauts de PSA, malgré des concurrents très féroces : après 11 ans de service et 2 200 000 exemplaires, place au projet X61.

Kangoo II : le retour

En 2008, PSA commercialise sa seconde génération de Berlingo et Partner : plus grands, plus spacieux (possibilité de charger une Europalet à l’arrière), plus confortables, plus sophistiqués, ils innovent avec leur banquette 3 places en VU qui connaît un très grand succès. Mais Renault est en embuscade avec un Kangoo renouvelé au même moment que ses rivaux. S’il manque l’innovation des 3 places frontales, il coche toutes les autres cases et apporte une version longue (Maxi), en VU comme en VP, ménageant 7 grandes places et un coffre. En outre, une version courte apparaît, le Kangoo Compact, au succès limité, faute de porte coulissante et de réel intérêt financier.

Côté design, le nouveau Kangoo d’alors conserve une mine joviale malgré son gabarit en nette hausse. Et malgré un grand porte à faux avant. L’original hayon asymétrique rend la partie arrière moins mièvre, la qualité perçue progresse et la face avant reste souriante. Après Wallace et Gromit en 2003, c’est au tour des Simpson d’être les stars de la campagne de lancement du Kangoo II. Encore une fois, Renault (et Publicis) marquent les esprits et en cette période de Renault bashing sur Internet, le Kangoo s’en sort indemne.

En revanche, il y a une victime dans la gamme, une victime de la folie des Hommes. Le Kangoo BeBop a semble-t-il échappé à tout contrôle managérial. On imagine qu’un chef de produit a lancé une boutade du type « et si on faisait un Kangoo Compact VP avec 3 toits ouvrants manuels dont un actionnable debout à l’arrêt depuis le coffre, une porte battante avec vitre descendante, 2 places arrières indépendantes sans cave à pieds, une planche de bord bleue et un capot gris métal pour contraster avec la couleur de caisse ? ». Et il y a eu quelqu’un pour dire « Banco ! ». Vous vous souvenez de la dernière fois où vous en avez vu un ? Moi, non [il suffisait que j’écrive le texte pour en voir un : mardi dernier avenue Mozart à Paris…]. Et je cherche encore le pourquoi d’un tel produit. Mais qu’est-ce que j’y connais, moi en ludospace ?

Trêve de sarcasme, Renault lance aussi une version électrique, ZE, à grand renfort de communication. PSA y répondra timidement en 2013. Au point que les versions VP ne sont lancées qu’en 2017 ! Entre temps, Renault propose une nouvelle version du Kangoo ZE, avec une autonomie accrue.

Bonne nouvelle pour Renault, les accords de coopération avec Mercedes-Benz offrent un nouveau venu pour l’usine de Maubeuge : le Citan est un jumeau badgé de l’Etoile, présenté en octobre 2012. Mc Guyver en a même fait la promo. Joli coup pour Renault qui, grâce à Mercedes, s’offre une meilleure rentabilité pour son Kangoo et des volumes de production supplémentaires. Malheureusement, côté design, les français en ont profité pour restyler leur voiture dès le mois de mars 2013… Le côté ludique, jusqu’ici déclinant disparait presque totalement, les couleurs jaune, vert, turquoise disparaissent, les intérieurs à rappels colorés également. Même le rappel de clignotant latéral se banalise. Dommage. En contrepartie, le Kangoo Express offre enfin 3 places frontales. Mais faute d’avoir touché à la commande de boîte de vitesse, l’éventuel passager sera bien moins à l’aise que chez PSA.

La French Connection

A lire ces lignes, on a l’impression d’une guerre continue entre Citroën (puis PSA) et Renault, occultant le reste du monde. Et à vrai dire, la réalité n’est pas très éloignée de ce constat. Jusque dans les années 70, les français sont presque seuls sur le marché. Fiat répond avec son Fiorino, sur base 127 puis Uno. Rien de révolutionnaire mais largement de quoi fonctionner sur les marchés où Fiat est dominant ou puissant. Dans les années 80, ça fait quand même pas mal de pays. Mais le Fiorino vieillit inexorablement en attendant son remplaçant en 2000 : le Doblo est le roi du volume de chargement dans sa catégorie mais sa première génération est un modèle de laideur tandis que ses moteurs sont anémiques avant l’arrivée des JTD. La seconde génération corrige largement le tir en 2010, tout en restant au top côté volume utile. Mais le marché reste trusté par les français qui n’ont eu de cesse d’innover ou de se moderniser.

Du côté de chez VW, une nouvelle génération de Caddy (accompagnée du jumeau Seat Inca) arrive en 1996 : il s’agit d’une Seat Cordoba à sac à dos et à pont arrière rigide et ressorts à lames. A peine lancés, immédiatement ridiculisés par le duo Berlingo et Partner. Le VW ne doit son salut qu’au TDI avant que les rivaux ne se mettent au diesel à injection directe. Encore aujourd’hui, le Caddy marque le pas, notamment en confort et commodités. Il garde pour lui une offre en boîte DSG et une version longue 7 places qui fait la joie des taxis.
Chez Ford, après un Courier sur base Fiesta dans les années 90, sans grand talent, un véhicule spécifique est enfin étudié : les Transit et Tourneo Connect permettent enfin à Ford de lutter dans les années 2000. La génération actuelle est nettement plus aboutie mais Ford est encore suiveur, notamment en termes d’aménagement intérieur.

Opel, après avoir arrêté son Combo sur base Corsa faute de succès s’est mis à rebadger des Fiat Doblo en attendant de faire fabriquer sa future voiture chez PSA. Mercedes suit la même logique après l’abandon du Vaneo : son Citan n’est autre qu’un Kangoo fabriqué à Maubeuge, avec une face avant retouchée. A noter que l’ancien Kangoo survit, restylé, en Argentine.

Bon soldat

Encore aujourd’hui, les utilitaires du segment F1 et leurs dérivés ludospaces sont une spécialité française, il y a de quoi en être fier. Et Renault peut être fier de son Kangoo, qui a été un élément clé dans la définition du segment, tout comme il a permis d’asseoir le leadership français en la matière. A fin 2016, Renault avait écoulé 3 896 983 Kangoo (dont près de 7000 ZE) : le cap des 4 millions sera sans doute franchi sous peu. Avec sa gueule pleine de bonhomie, sa porte latérale coulissante, une communication soignée et une gamme régulièrement animée entre évolutions, modernisations et séries spéciales, la première génération a drainé une grande clientèle, pérennisée par une seconde version plus mûre, plus aboutie mais de plus en plus terne… Dommage. Quoi qu’il en soit, le Kangoo est un beau succès, tant en VP qu’en VU et s’il fête ses 20 ans dans de bonnes conditions, il va passer un 21ème anniversaire bien moins calme : avec l’arrivée des futurs Berlingo et Partner, un nouvel épisode de la guerre PSA / Renault s’ouvrira. Et l’Histoire a prouvé que les belligérants ne sont pas là pour se faire des cadeaux. Vivement 2018 pour assister au match : hâte de découvrir ce que Peugeot et Citroën nous réservent… en attendant la troisième génération de Kangoo, probablement lancée peu de temps après les rivales de PSA. Une guerre sans fin.

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