Le Nouvel Automobiliste
Stéphane Deblaise

Interview Stéphane Deblaise, CEO de Renault Korea Motors

Découvrez Stéphane Deblaise, CEO de Renault Korea Motors. Ses objectifs, les produits, la relation avec les équipes européennes, il nous dit tout !

En marge de notre visite au Salon de l’Automobile de Séoul, nous avons profité de notre escapade coréenne pour vous offrir quelques rendez-vous passionnants. Premier épisode de cette série dédiée à la Corée du Sud, nous voici à la rencontre de Stéphane Deblaise, CEO de Renault Korea Motors. A l’aube de nombreux changements pour le Losange sur la péninsule coréenne, ce dernier nous explique les défis qui attendent la marque française sur place.

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Le Nouvel Automobiliste : Bonjour Stéphane Deblaise, merci de nous recevoir au Renault Experience, à 2 pas du Kintex 2 où se déroule le Seoul Mobility Show 2023. Pour commencer notre interview, pouvez-vous vous présenter ? 

Stéphane Deblaise : Bonjour, je m’appelle Stéphane Deblaise, j’ai 50 ans. J’ai commencé ma carrière au Brésil dans une autre entreprise que Renault mais une entreprise française (Saft, filiale de Total Energies, fabricant de batteries). Et ensuite je suis entré chez Renault en tant qu’ingénieur Powertrain (groupe motopropulseur en français). J’ai ensuite fait une spécialisation en Powertrain, sur laquelle j’ai assez longtemps travaillé. 

Puis je suis allé au Brésil pour être Chief Vehicule Engineer (Chef Ingénieur Véhicule) sur Renault Duster, pour son arrivée au Brésil et ça a été un succès sensationnel.

À la suite de cette expérience, je suis revenu en France pour être patron des prototypes. Les prototypes en France, c’était une usine de 700 personnes, donc ça voulait dire un peu être directeur d’une usine. On m’a alors appelé pour aller en Chine pour prendre les programmes de la Chine. Et enfin je suis revenu pour être patron des programmes en France du segment C. 

C’est-à-dire que je suis un peu à l’origine, enfin pas qu’un petit peu, du développement d’Austral, de l’Espace et le début de la future voiture qui va suivre. Il y a un an, on m’a demandé d’aller en Corée pour prendre la responsabilité de Renault Korea Motors. J’ai désormais une expérience de 22 ans chez Renault.

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LNA : En tant que directeur des programmes du Segment C, aviez-vous déjà été en contact avec les équipes coréennes ? 

SD : Oui, c’est sûrement une des raisons pour laquelle on m’a demandé de venir ici, en Corée. Quand je travaillais en Chine ou en tant que directeur de programme en France, les développements étaient faits en Corée. La Corée a toujours été un pays pour le segment C/D, segment où j’étais donc directeur de programme. Je n’avais pas une parfaite connaissance du pays ou du marché, mais ma carrière a montré que j’avais une aptitude pour m’adapter facilement, avec l’Asie notamment. C’est sûrement une autre raison pour laquelle on a pensé à moi. Enfin, je suis un homme de projet difficile.

LNA : Le développement du Renault Duster en Amérique du Sud a été un projet difficile ? 

SD : Ce n’était pas simple, parce que les coûts au Brésil sont relativement élevés. Il fallait arriver à maintenir les coûts au bon niveau dans un pays peu compétitif à cause de barrières douanières élevées. Mais nous avons fait un très très bon premier Renault Duster, qui a eu un succès énorme. Il nous a permis de gagner 2 points de part de marché, en passant de 5 à 7% à l’époque.

LNA : Le Duster est un succès mondial !

SD : Duster est un très beau succès, comme la marque Dacia. Et on est vraiment fier chez Renault Group du Duster.

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LNA : Revenons sur le nouveau Renault Austral et Renault Espace, le développement de ces modèles ont aussi été des projets difficiles ? 

SD : Oui, c’était un projet difficile. Par son partage avec Nissan, avec le remplacement du Nissan Qashqai, avec des demandes assez fermes de leur part. Et nous, nous avions des ambitions fortes pour Renault Austral en Europe. Le point le plus délicat a cependant été le Diesel Bashing en cours de développement du projet, qui nous a forcé à revoir totalement les motorisations. Il a fallu convaincre en interne sur les choix de motorisation, et le développement d’un nouveau moteur (E-Tech Full Hybrid 200 ch) qui est un excellent moteur. 

LNA : Vous êtes donc en poste en tant que CEO de Renault Korea Motors, qu’est-ce qui vous a le plus surpris en découvrant les équipes sur place, que ce soit positif ou négatif ? 

SD : Les Coréens sont formidables, je le savais déjà mais j’en ai eu la confirmation. Ils sont extrêmement déterminés, je vous conseille pour comprendre les Coréens de regarder Squid Game : l’esprit de compétition, l’amour de l’argent, la conquête. D’un point de vue professionnel c’est important d’avoir des personnes qui aiment se battre. En revanche, comme je suis arrivé dans un contexte difficile lié aux 3 années précédentes, les équipes étaient fatiguées, il fallait les rebooster. Je le savais en venant en Corée, car je connaissais l’histoire, mais j’en ai eu la confirmation en arrivant. 

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LNA : C’est donc votre plus gros challenge ? 

SD : Oui, parce que les derniers investissements sont à côté de nous : la Renault SM6 (Talisman), la Renault QM6 (Koleos) datent d’il y a plus de 7 ans. Les nouveaux projets ont tardé à être lancés et il faut maintenant remobiliser l’entreprise. 

LNA : Le Seoul Mobility Show 2023 est l’occasion de présenter le nouveau Renault QM6.

SD : Oui, nous avons fait un beau restylage. Nous avons lancé également une version appelée Quest, qui est une version pensée pour le glamping (Glamourous + Camping), qui est un camping un peu luxueux et extrêmement à la mode. Le weekend, vous pouvez voir des Coréens qui vont au bord de la mer en voiture, coffre ouvert vers la mer ou vers le couché de soleil. Ils piqueniquent et dorment ensuite dans leur voiture. C’est une des fonction du Renault QM6 Quest. Et puis il a y toutes les fonctions tournées vers les professionnels en tant que véhicule 2 places. C’est une réinvention du MPV (Multi Purpose Véhicule, terme anglais utilisé pour le monospace) dans un SUV. Nous sommes les seuls à offrir cela (dans le segment). Le reste de la gamme a aussi été mis à jour, avec une amélioration de la connectivité en plus du style.

Renault QM6 Quest

LNA : Nous sommes en Corée depuis quelques jours, vous depuis un an, qu’avez-vous découvert de la Corée au quotidien ? 

SD : Il y a 2 Corée : Séoul et le reste de la Corée. Séoul, est une ville incroyable, extrêmement moderne, avec des voitures magnifiques. C’est le plus beau parc automobile que je connaisse. Toutes les voitures sont en excellent état, récentes, plutôt grandes. Quand on aime les voitures, c’est la ville où il faut venir. La ville est également très verte, pas trop oppressante en termes de bitume et de béton.

Ensuite, il y a une seconde grande ville très intéressante : Busan, la « Rio » de l’Asie, au bord de la mer, où se situe l’usine Renault Korea Motors. Je sais que vous allez vous y rendre pour visiter notre usine, je vous invite à visiter la plage du centre-ville, la plage Haeundae, un très bel endroit. Il faut inciter les Français à venir ! Petite précision, j’étais en Chine et j’ai pu apprendre le Chinois. C’est difficile mais je m’en sortais. Le Coréen est beaucoup plus difficile à apprendre. 

LNA : Revenons à Renault Korea Motors, quels sont vos objectifs à long termes ?

SD : Renault est en Corée depuis 22 ans et progressivement, nous sommes un peu « passé de mode ». C’est le premier constat. Le second constat est que nous n’avons pas su trouver la bonne approche marketing et vente pour valoriser nos véhicules sur le marché malgré leur qualité. Troisième constat, on a un lieu d’export incroyable puisque nous avons des accords de libre-échange avec plus de 60 pays au monde. Et nous n’avons pas su pleinement profiter de ça. Nous l’avons fait dans la passé pour Nissan avec le Nissan Rogue (le X-Trail Nord-Américain). Aujourd’hui, nous le faisons avec le Renault XM3 exporté comme Renault Arkana (ou Mégane Conquest dans les pays de l’ex-Yougoslavie). Voici donc les 3 objectifs :

  • Moderniser notre image
  • Être plus efficient en marketing et en vente
  • Exporter
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LNA : L’usine de Busan est-elle en sous-capacité de production ? 

SD : Non, mais Nous pourrions fabriquer plus, les années 2022 et 2023 sont à des niveaux qui ne sont pas problématiques en termes de performance (167 900 véhicules produits en 2022), mais nous pouvons fabriquer plus : environs 80 000 unités de plus par an. 

LNA : Justement, pouvez-vous nous rappeler les produits proposés par Renault en Corée, et les positionner face à la concurrence ? 

SD : Nous avons trois modèles. La Renault SM6, commercialisée en Europe en tant que Talisman. Sa concurrente est la Hyundai Sonata, mais nous ne cherchons pas à attaquer frontalement Hyundai/Kia. Nous offrons autre chose, c’est pour cette raison qu’aujourd’hui nous organisons Renault Experience. Cela fait 7 ans que Renault Korea Motors est la première marque en satisfaction client en Corée. Cette année nous sommes premiers en qualité également. Devant Genesis, marque locale qui concurrence Mercedes-Benz. 

Ensuite, nous avons Renault QM6 (notre Koleos en Europe) qui est face au Kia Sorento. Et enfin le Renault XM3 (Arkana), qui lui n’a pas de concurrent direct même si General Motors vient de sortir le Chevrolet Trax qui peut s’en approcher. Le Renault XM3, à l’image du Samsung QM3 (Captur de première génération), est une création de segment. On crée une différence même si les ventes ne sont pas tout à fait satisfaisantes, mais c’est une voiture extrêmement appréciée. D’ailleurs, nous avons cette année le prix du meilleur SUV Hybride, et à son lancement, le Renault XM3 a eu le prix du meilleur SUV et du meilleur Design. Nous avons donc 3 prix pour Renault XM3 en Corée. Nous pouvons en être fier.

LNA : Si vous n’affrontez pas directement des voitures coréennes, comment se positionne la marque Renault sur ce marché ? 

SD : Nous sommes entre deux moments sur le positionnement de marque. Le moment du passé où nous capitalisions sur le nom Samsung (Samsung Motor étant le nom de Renault Korea Motors jusque 28 février 2022), avec une « coréanité » grâce au Typhon (logo de la marque) vers un positionnement plus moderne, le Renault « electropop ». Ce mot fonctionne bien ici, nous sommes au pays de la K-Pop (Pop musique coréenne). Nous sommes en train de repositionner assez naturellement la marque sur la modernité, le pop, pétillant – et cet évènement où nous sommes aujourd’hui en est un peu l’illustration. C’est assez frais et chaleureux, tout en étant sérieux, sans être prétentieux. Nous sommes chez un constructeur automobile qui sait faire des voitures (pour votre compréhension chère lectrice ou cher lecteur, transposé au Mondial de Paris, le Renault Expérience serait à l’entrée du salon, sur la place de la Porte de Versailles, en accès libre).

LNA : Vous ne profitez donc pas ici de l’image du luxe à la Française ? 

SD : Nous l’utiliserons un petit peu, vous êtes dans le pays où le budget par habitant consacré au luxe est le plus haut au monde. C’est plus de $ 325 par an par habitant devant le Japon et la Chine. Nous capitaliserons de façon smart là-dessus. Il faut utiliser ses racines françaises qui sont respectées en Corée. Si nous le faisons bien nous pourrons suggérer le raffinement français, mais nous ne souhaitons pas être associé au luxe. 

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LNA : Initiale Paris n’est pas utilisée en Corée, l’équivalent se nomme Premiere. 

SD : Oui, ne me demandez pas pourquoi, mais je crois savoir que le mot initial ne sonne pas bien en Corée, il a plus un sens de début que de grand. Premiere a cependant le même positionnement. 

LNA : Qu’est-ce qu’il manque aujourd’hui à Renault en Corée, face à Hyundai ou Kia ? 

SD : Face à Hyundai ou Kia il ne manque rien. Il faut clarifier notre positionnement de marque et de produit. Et que nous fassions des voitures complétement dans le marché. C’est ce que nous avons l’intention de faire. De plus il faut des véhicules complémentaires des produits proposés en Europe. Pour bien avoir l’opportunité d’export depuis la Corée. L’idée n’est pas de refaire un Austral ici. Nous visons de faire Corée et reste du monde ou Europe, mais sur des véhicules que le reste du monde ou l’Europe ne proposent pas. 

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LNA : Dans les rues de Séoul, on remarque la présence notable de véhicules électriques, dont un nombre impressionnant de Mercedes-Benz EQS et EQE, vous avez été pionnier avec la Samsung SM3 Electric (Fluence ZE) et aujourd’hui, Renault Korea Motors ne propose plus de véhicule électrique. C’est une pause ?

SD : Il y a plusieurs éléments de réponses. Premièrement, les 3 dernières années étaient des années de réflexions sur ce qu’il fallait faire. Quand on est en réflexion, nous ne sommes pas en action, nous on ne fait pas de nouvelle voiture. Le second élément de réponse, la SM3 Electric était une idée assez géniale, qui s’inscrivait dans une dynamique électrique chez Renault Group (avec Zoé et Kangoo ZE). En plus, celle qui était le plus adaptée au marché coréen et était fabriquée localement. C’est donc assez clairvoyant dans un pays qui est très techno et avant-gardiste. Si vous allez sur l’île de Jeju, appelée la Hawaï de Corée, il y en a quelques-unes. Je ne suis cependant pas d’accord avec vous sur la représentativité de l’électrique. La Corée n’est pas un pays de voitures électriques. En tout cas pas encore. Comme les voitures sont très grosses, il y a beaucoup de voitures thermiques. Si vous allez en Chine, vous allez voir ce qu’est un pays de voitures électriques. Je ne nie pas qu’il y a un virage électrique, mais les estimations de l’ensemble des constructeurs coréens sont entre 30 et 40 % de part de marché en 2030. C’est déjà beaucoup, mais moins que sur d’autres marchés. 

Les voitures que vous avez nommées sont de bons exemples, mais c’est aussi parce que la Corée est devenue le 4 ou 5e marché pour les marques Mercedes-Benz et BMW dans le monde alors que le marché est d’environ 1,5 million véhicules commercialisés par an. 

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LNA : Revenons sur le passé. A l’époque de Samsung Motor, il y avait tout de même des Renault commercialisée (Clio IV et Captur II). Pourquoi ne pas avoir capitalisé sur la marque Samsung en rebadgeant les modèles ? 

SD : Ça a été fait avec le premier Captur, importé en tant que Samsung QM3. Cela a été un succès, avec 80 000 exemplaires vendus au total. Mais pour reprendre ce que je vous disais, nous nous sommes beaucoup cherchés en Corée. Car ensuite, nous avons importé sans rebadger. J’ai un plan clair sur ce sujet, c’est un peu trop tôt pour vous en parlé d’autant qu’il n’est pas décidé. Ce sera décidé cette année pour une application envisagé en 2024. 

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LNA : on peut donc supposer que ce sont des modèles qui existent déjà dans la gamme Renault actuelle ? 

SD : voilà !

LNA : En mars 2022, Samsung Motor est devenu Renault Korea Motor et en a profité pour faire évoluer son identité. Mais ô surprise, ce n’est toujours pas un losange !

SD : D’une part, si vous réfléchissez et que vous regardez ce qu’a fait la marque Renault en Europe, ils sont exactement faits comme ça. Ils ont d’abord modernisé l’identité dans les concessions avant de l’appliquer sur les voitures. Nous avons profité de l’abandon de la marque Samsung pour moderniser le logo. Contrairement à Renault avec la Mégane E-Tech Electric, nous n’avons pas encore lancé de nouveau modèle pour appliquer la nouvelle identité. Ensuite, l’usage ou non du losange est une bonne question à laquelle vous aurez la réponse un jour (rire). 

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LNA : À défaut de losange, pouvez-vous nous expliquez l’origine du tourbillon ? 

SD : j’aurai dû réviser, mais c’est déjà une forme géométrique harmonieuse, évoquant le Ying et le Yang et l’énergie. Et cette harmonie est très importante en Asie. C’est un bon logo pour un pays et un imaginaire asiatique. 

LNA : Samsung Motor avait ses premiers modèles basés sur des Nissan, c’est cependant Renault qui est devenu propriétaire de la marque en 2000, savez-vous pourquoi Renault a investi dans cette marque à l’époque ? 

SD : J’étais loin de ces sujets là en 2000. Mais c’est une opportunité qu’il ne fallait pas louper. 

LNA : Samsung est un nom qu’on voit partout en Corée, c’est un groupe très présent ici et connu mondialement, n’est-ce pas un peu risqué d’abandonner ce nom ? 

SD : bien sûr qu’il y a un risque. Il y a 23 ans, c’était une évidence de conserver le noms. Les véhicules importés représentaient 1%. Si vous possédiez une voiture importée en Corée, vous aviez un risque de vous la faire rayer sur le parking. Aujourd’hui, la part des véhicules importées est de 20%, ce qui est énorme. Il n’est plus mal vu d’avoir un véhicule importé. Donc l’attachement au nom Samsung est moins important dans l’automobile aujourd’hui. Le changement de nom permet aussi de signifier un nouveau départ, et nous pensons dans ce contexte que c’est une bonne idée. 

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LNA : comment Renault Korea Motor travaille dans le Renault Group ?

SD : L’automobile en général et Renault en particulier ne fabrique pas des voitures pour un pays. Renault a des RTX, soit des Renault Technologie X, avec X = le pays. Ici, nous avons donc le RTK, K pour Korea / Corée. Cette organisation permet de répartir le développement en fonction de la charge ou de la compétence du RTX. Le RTK, qui représente 500 ingénieurs est intégré dans cette nébuleuse globale. On ne peut pas développer une voiture chez RTK si Renault n’est pas preneur de cette voiture pour le reste du monde. Donc, on est complétement intégré dans l’écosystème. Nous avons 7 à 8h de décalage horaire (il n’y a pas de changement d’heure d’été / hiver en Corée), avec un marché très différent de ce que vous voyez en France. Mais c’est la différence qui fait la complémentarité, mais elle ne veut pas dire indépendantisme. Il faut jouer l’unicité de la compétence, la Corée est un pays où il y a beaucoup de nouveauté technologique, et la relier dans le système Renault. 

LNA : prenons l’exemple de la Renault XM3, 

SD : La voiture existe forcément car il y a un programme mondial. Mais attention à ne pas confondre la Renault Arkana développé pour la Russie à l’époque avec la Renault Arkana Européenne qui n’utilise pas la même plateforme. Programme mondial ne veut pas dire partout dans le monde, certains pays sont exigeants sur la technologie quand d’autres recherches des voitures plus abordables. 

LNA : finalement, serait-ce le Renault QM6 / Koleos qui ne serait pas le véhicule le plus mondial de Renault ? 

SD : Vous avez tout à faire raison, en termes de pourcentage de ventes hors France, c’est le plus international. 

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LNA : passons à l’avenir, avec l’annonce du partenariat avec Geely Automobile Holdings. Pourquoi allez un partenaire tiers, plutôt qu’un partenariat avec un autre marque de l’Alliance ? 

SD : Un des raisons les plus évidentes, en termes de besoin de marché, la Chine et la Corée sont très proches : quand une plate-forme fonctionne pour la Chine, elle fonctionne pour la Corée. Il y a une synergie automatique. L’autre élément, c’est que ce genre de plate-forme est complémentaire du cœur de compétence de Renault en Europe, qui plafonne au segment C, alors qu’ici nous sommes plus sur du segment D, environ 470 cm de long. 

LNA : Geely Automobile Holdings a pris 34% de participations dans Renault Korea Motors, et par rapport à ce que vous venir de dire, est-ce que c’est fini des plate-forme Renault en Corée ? 

SD : Non, mais les futurs projets ne sont pas encore tous définis côté plate-forme, notamment les projets que nous avons à partir de 2026.  

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LNA : est-ce que ce premier accord était un premier pas sur l’accord qui se prépare entre Geely Automobile Holdings et Renault Group ? 

SD : Un premier accord est toujours mieux pour un deuxième accord, surtout s’il se passe bien. C’est dans ce sens-là qu’il y a un lien mais il n’y a aucun lien à part ça. 

LNA : l’Europe a annoncé la fin de la voiture thermique, qu’en est-il en Corée ? Allez-vous développez encore des véhicules thermiques ? 

SD : il n’y a pas d’échéance de bannissement de la voiture thermique en Corée aujourd’hui. Nous allons surtout développer des véhicules hybrides. 

LNA : est-ce que l’accord avec Geely Automobile Holdings est aussi une porte d’entrée pour le groupe de commercialiser une de ses marques en Corée ? 

SD : Pas à ma connaissance. Nous avons totalement le leadership managérial. Geely est un actionnaire, un partenaire. 

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LNA : quel est alors l’intérêt de Geely Automobile Holdings de devenir actionnaire de Renault Korea Motors ? 

SD : il faudra leur demander ! Un des avantages de la Corée est d’avoir 60 accords commerciaux avec des pays étrangers, ce n’est pas le cas de la Chine. Ce n’est qu’un hypothèse. Geely Automobile Holdings est une entreprise privée qui fait beaucoup de partenariat. 

LNA : en octobre dernier, Renault Korea Motor a diffusé une photo d’une partie d’un nouveau véhicule. Depuis, pas d’autres informations ont circulé, qu’en est-il se de son développement ? 

SD : Ça avance ! (rire) Il faut que nous travaillons plutôt que de communiquer, même s’il était important d’annoncer que des projets étaient en cours. Un nouveau véhicule sera commercialisé en seconde partie de 2024.

Renault Korea Motors SUV COupe

LNA : nous sommes à côté du Seoul Mobility Show, pourquoi ne pas en avoir profiter pour montrer ce travail, avec un concept par exemple ? 

SD : Car nous avons pensé que 2023 était une année de travail. Il faudra attendre l’an prochain pour découvrir des choses. Mais nous nous étions posé la question.

LNA : nous sommes donc arrivés un an trop tôt ?

SD : Non, car vous profitez des Renault Experiences days ! En octobre 2022, il était important que Luca Di Meo vienne, fasse une conférence de presse dans laquelle nous annonçons les grandes lignes de ce qui va se faire. Une fois qu’il est parti, il était important que nous nous mettions au travail une fois que la ligne directrice avait été annoncée. Nous ne pouvons pas toujours être dans la communication. C’est une nouvelle fois une année de travail. En octobre, nous n’avions pas encore signé tous nos contrats.

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LNA : du coup, vous travaillez avec Geely Automobile Holdings

SD : oui, mais nous travaillons avec Renault Group aussi ! 

LNA : Nous allons avoir la chance de visiter l’usine de Busan dans quelques jours, pouvez-vous nous en parler ? 

SD : C’est une très belle usine. J’ai commencé ma carrière en tant qu’Ingénieur Process, j’ai donc visité beaucoup d’usines. L’usine de Busan est toujours classée dans les 3 meilleures usines Renault, en termes de qualité, de performance… Elle est très frugale, ce qui est un point fort pour une usine ; le surinvestissement est un danger car il faut ensuite amortir. Vous verrez, elle tourne bien. J’aime beaucoup aller dans cette usine, c’est agréable. 

LNA : Pouvez-vous nous rappeler les modèles qu’elle fabrique ?

SD : Elle fabrique encore la Renault Twizy mais la fin de production est imminente. Sont assemblés les 3 véhicules de la gamme Corée : QM6, SM6 et XM3, et leur dérivés exports. Dans le passé, nous avons donc aussi fabriqué sur la même ligne des Nissan, le Rogue par exemple. Et auparavant, nous fabriquions des modèles dérivés de Nissan. 

LNA : L’usine de Busan est donc une usine très souple pour fabriquer des modèles aux gabarits si différent.

SD : Alors la Renault Twizy est fabriquée à part. Néanmoins, ce que vous dites est tout à fait vrai, et c’est d’ailleurs ce que l’usine revendique : c’est la flexibilité de fabriquer différents type de voiture sur la même chaine de fabrication. C’est un cas particulier dans le monde automobile chez Renault. 

LNA : l’usine fabrique également des moteurs, dont le 1.8 TCe.

SD : Exactement, nous sommes l’unique manufacture du moteur de l’Alpine. Il y a des pièces qui viennent de France mais le reste et l’assemblage est réalisé ici. Le moteur équipe certains de nos voitures en Corée. C’est un peu notre fierté. 

LNA : en résumé, l’usine de Busan fabrique pour le marché local et pour l’export.

SD : Le business model de la Corée en général, pas spécialement Renault, c’est un pays qui fonctionne entre 50 et 60% d’exportation. Il faut l’avoir en tête.

LNA : Merci de le rappeler. A l’inverse, quand vous importez des véhicules, comme le Renault Master que vous commercialisez, est-ce qu’il est surtaxé ?

SD : Il est taxé selon le partenariat avec l’Europe (pour plus d’information ici). Les coûts d’importation ne l’empêche pas d’être compétitif sur la marché. 

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LNA : nous parlions des concurrents avec un renouvellement rythmé. La Hyundai Sonata restylée vient d’être présenté au Seoul Mobility Show. Chez Renault, le QM6 est restylée pour le 3e fois, et sa carrière s’arrête en France. Pouvez-vous communiquer sur sa durée de vie restante ? N’est pas pénalisant commercialement parlant ?

SD : Si bien sûr, c’est un peu comme je l’ai indirectement dit tout à l’heure, les véhicules SM6 et QM6 ont des durée de vie longue, donc c’est un pénalisant. Après pour regarder le futur, comment on va faire ? On va travailler avec trois leviers parce que l’axiome de départ, c’est que la nouveauté est encore plus importante que dans n’importe quel pays. Donc il y a une appétence à la nouveauté très très forte. C’est le point de départ. Partant de ce point de départ, on a trois leviers. On a des nouveaux véhicules fabriqués ici en Corée, des événements qu’on appelle « six months Events » ou « Renault Expérience » pour le client, pour vous, mais en interne, on l’appelle « six months Events » (Évènement tous les 6 mois en Français). Donc tous les six mois on va faire de Renault expérience. Renault Expérience ici est notre première. Nous voulons vraiment montrer tout ce qui se passe de nouveau chez nous, de l’objet véhicule jusqu’au service. Donc c’est le deuxième levier. Et le troisième levier c’est d’importer des véhicules de Renault pour satisfaire le marché, donc garantir la nouveauté. En résumé :

  •  fabriquer entre deux et quatre véhicules localement
  • faire des événements tous les six mois qui sont des événements 360 degrés sur tous les éléments d’une voiture qui vont du service jusqu’à la nouvelle couleur 
  • avoir des véhicules qui viennent du monde de Renault qu’on ne fabrique pas ici et qui complètent la gamme.
Stephane Deblaise CEO Renault Korea Motors Portrait

LNA : D’ailleurs, on parle beaucoup de la nouveauté sur la QM6, mais il y a effectivement la SM6 qui présente une nouvelle finition lors de cet évènement.

SD : Oui, qui est très sympathique, la Renault SM6 Inspire. 

LNA : Cette version peut ressembler pour le public européen à la S Edition qu’on a eu un temps sur Talisman, un peu plus sportive.

SD : Plus sportive encore.

LNA : La Renault SM6 a une carrière aussi longue que la QM6, peut-on aussi espérer que sa carrière dure encore quelques années ?

SD : Alors elle marche moins bien parce que le Renault QM6 marche vraiment bien ici, vous en voyez beaucoup, on en voit beaucoup. Et la SM6, elle a très bien marché la première année et à un peu moins après parce Hyundai a contre attaqué et ça nous a mis en difficulté. Mais ces deux voitures sont néanmoins complètement dans le marché comme je le disais tout à l’heure. Mais on ne tue jamais une voiture si elle peut marcher encore. Donc donc on va, on va les maintenir.

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LNA : Mais est-ce qu’à un moment chez Renault, il ne s’est pas posé la question de continuer à produire la Renault Talisman ici en place de la production à Douai qui s’est terminée pour laisser la place à Renault Mégane E-Tech Electric ?  

SD : Je ne sais pas si cette question a été posée. J’avoue que je n’ai pas d’avis.

LNA : Passons à Luca de Meo, quand il est venu justement en octobre, il annonçait donc des investissements pour Renault Korea Motor…

SD : Pour que ce soit bien clair, Luca de Meo a dit qu’on allait lancer deux véhicules hybrides dans les années qui venaient et que si ces deux véhicules hybrides fonctionnaient, qu’on lancerait des véhicules électriques. Donc c’est ça notre plan.

C’est un peu logique de répondre qu’on ne fera pas de véhicules électriques si on n’arrive pas à vendre nos voitures hybrides qu’on va faire.  Mais le plan, il est assez clair. On fait deux hybrides là, dans les années qui viennent entre 2024 et 2026. Cela étant, ça ne veut pas dire en 2030, hein, bien sûr. 

Stephane Deblaise Luca de meo Renault Korea Motors

LNA : On peut supposer que vous êtes de toute façon très attentifs à ce que fait la concurrence en Corée. On parlait tout à l’heure d’Ionic, de la aussi Mercedes-Benz, ce qu’on voit avec le EQS et le EQE notamment, se remarque un petit peu à Séoul (peut-être pas ailleurs dans le pays donc). 

Et grâce à finalement au groupe Renault, vous êtes peut-être prêt à dégainer assez vite. Sans vouloir entrer dans le secret, si demain vous décidiez d’importer un véhicule électrique, que ce soit la Renault 5, la Renault Mégane E-tech électrique, combien de temps vous faudrait-il entre la décision et son arrivée sur le marché ?

SD : Nous sommes en train d’analyser la question. Donc on a l’intention de le faire. Importer des véhicules électriques de la marque Renault, parce qu’il y en a un certain dont on pense qu’ils sont…qu’ils seraient intéressants dans le marché. Le temps théorique est assez court s’il n’y a pas d’embouteillage dans les projets d’export de ces voitures-là.  Donc ça peut générer des délais plus longs que le délai théorique. Le temps théorique c’est entre 6 et 12 mois, le délai pratique c’est 6 à 18 mois entre le moment où on décide et le moment où on a la voiture. Donc c’est quand même assez court.

LNA : Vous l’avez dit aussi. Du coup, l’objectif dans le nombre de véhicules fabriqués en Corée, c’est à peu près quatre, à compléter par des modèles en importation. 

SD : Je confirme, entre deux et quatre maximum fabriqué localement, et quelques modèles bien choisi en importation. L’idée n’est pas de reproduire la gamme française. On a un réseau de concessionnaires assez bien répartis en Corée. 200 concessionnaires au total. On peut tout à fait mettre dans notre réseau de façon permanente cinq voitures. Nous pouvons imaginer qu’on a trois voitures en permanence locales et une ou deux en importées, c’est de l’ordre de grandeur. 

Luca de meo Renault Korea

LNA : Est-ce que Luca de Meo vous a donné un objectif de parts de marché en Corée …

SD : Nous avons avant tout des objectifs de rentabilité et de valeur vendue : Profit par voiture, positionnement des versions hautes

LNA : Donc c’est finalement la même politique qu’en Europe ?

SD : Je suis content que vous le compreniez, c’est la valeur plutôt que le volume. Mais c’est la rentabilité pour faire vivre l’entreprise en mieux.

LNA : Un véhicule est absent de cette Renault Experience : le Renault Master. Est ce que vous avez un objectif sur cette catégorie ?

SD : Quand on me pose des questions sur le Renault Master, je suis embêté parce que je suis assez « faible » sur ce sujet. Néanmoins, je pense que c’est un sujet dont il faudrait qu’on s’occupe plus parce qu’il y a un vrai marché véhicule utilitaire ici. Et il y a une vraie compétence Renault, donc je pense qu’on n’utilise pas le potentiel ce véhicule.

LNA : Surtout qu’il y a des accords aussi en Chine chez Renault Group.

SD : Oui. Nous avions un frein pendant un certain temps mais qui était qu’on n’avait pas de boite automatique ou pas la bonne. Mais en tout cas, il n’y a pas de raison de ne pas s’intéresser davantage à ce Renault Master. Et je vais demander aux équipes de regarder.

Stephane Deblaise Interview 01

LNA : Et peut-être ils sont déjà occupés sur les véhicules particuliers aussi ! 

SD : Oui, nous sommes une équipe de 3200 personnes et donc nous n’avons pas des ressources infinies. J’ai eu la question d’un blogueur coréen qui était qui était quelqu’un de très sympathique et qui avait l’air de me dire qu’il faudrait qu’on pousse davantage le Renault Master. Je pense que je vais prendre cela comme Homework (les devoirs en français).

LNA : Oui, parce qu’aujourd’hui le marché utilitaire de ce qu’on a vu, c’est Hyundai Kia principalement, mais on voit quand même quelques Mercedes-Benz, quelques Ford…

SD : Oui il y a des parts de marché à prendre

LNA : Autre point né d’un constat ici, sur le parking, ou en bruit de fond pendant l’interview, il y a en Corée quelques véhicules sportifs, qui sont absent de la gamme Renault en Corée.

SD : On y pense. Revenez nous rendre visite en 2024 et 2025. 

Stephane Deblaise Interview 09 Copie

LNA : Busan concoure pour organiser l’exposition universel en 2030, ce sera l’occasion pour nous Européens de venir découvrir la Corée.

SD : J’ai le pin’s sur ma veste. Mais il faut venir avant 2030. En 2030, vous aurez loupés toutes les étapes de notre reconquête. Il faut venir plus tôt !

LNA : Oui, il y a au moins une génération de voitures qui nous séparent de 2030.

SD : Voilà, il y a plus qu’une génération en fait. Quelque part, il y a la fin d’une génération et d’une nouvelle qui arrive.

LNA : Pour terminer l’interview, qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour personnellement et pour Renault Corée ?

SD : Qu’est-ce que vous pouvez me souhaiter ?  Du succès à ces 3200 personnes qui travaillent pour Renault en Corée. Et pour Renault dans le monde. 

LNA : Parfait !  Eh bien pourquoi ne pas en reparler dans un an ou deux ! Merci beaucoup pour cet échange et votre temps Stéphane Deblaise. 

SD : Merci beaucoup.

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Photos : Le Nouvel Automobiliste, Renault

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