Le Nouvel Automobiliste
2020 Gilles VIDAL

Interview de Gilles Vidal, le directeur du design Peugeot

Le design Peugeot a sensiblement évolué ces derniers temps, notamment sur les 3008 et 5008. Une évolution qui va se confirmer sur les prochains modèles, notamment la remplaçante de la 508. Le Nouvel Automobiliste a rencontré Gilles Vidal, le directeur du design Peugeot, pour évoquer le dernier concept-car du constructeur, l’Instinct, mais plus principalement le futur de la marque au lion.

2020 Gilles VIDAL

Le Nouvel Automobiliste : Bonjour Gilles Vidal ! Pour commencer, j’aimerais revenir sur le concept-car Instinct présenté au dernier salon de Genève. Que lire dans ses lignes ? Annonce-t-il esthétiquement la remplaçante de la Peugeot 508 ?

Gilles Vidal : A travers Instinct, plusieurs niveaux de lectures sont possibles. Bien sûr, certains détails de la voiture pourraient se retrouver sur des futurs modèles de production, étant donné qu’Instinct a été développé, comme tous les concept-cars Peugeot, en parallèle des voitures de série. La différence est qu’un concept-car permet d’expérimenter des choses, dans un cadre plus créatif que celui de la production. Dès que les solutions imaginées sont matures et industrialisables, on fait le pont avec la série.

Ainsi, par rapport aux éléments du design extérieur d’Instinct, la forme des optiques avant et arrière, ou encore la forme du vitrage latéral seront retranscrites plus ou moins fidèlement sur des modèles de série. Cependant, le design extérieur n’est clairement pas le message principal que nous voulions donner avec Instinct.

LNA : Je me permets tout de même de rebondir sur les éléments extérieurs du concept-car Instinct que vous avez évoqués, notamment les optiques : on note, dans la signature lumineuse qu’ils proposent, une évolution par rapport à ce qui est visible sur les Peugeot 3008 et 5008, les deux modèles les plus récents de la gamme. Pourquoi ne pas faire davantage durer cette signature lumineuse dans le temps ?

G.V. : Il faut bien avoir en tête qu’un concept-car envisage toujours « le coup d’après », et que Peugeot doit se distinguer des autres marques automobiles notamment à travers son design, pour qu’il soit toujours plus unique et différent. Les 3008 et 5008 ont des « sourcils de leds » comme les autres voitures de la gamme, mais on réfléchit à faire évoluer cette signature, comme dit précédemment pour éviter l’inertie et faire en sorte de donner au design Peugeot des marqueurs de style uniques.

LNA : Puisque nous parlons des 3008 et 5008, il est étonnant de constater que depuis plus de trois ans, Peugeot n’a presque sorti que des SUV, alors que les concept-cars que la marque présente sont ultra-bas, à l’exception du Quartz. Pourquoi ? Envisagez-vous ce qui va arriver après les SUV ?

G.V. : C’est une inversion de phase logique : maintenant que nos SUV ont été renouvelés, on envisage le remplacement des berlines, d’où les concept-cars ultra-bas.

LNA : Revenons plus en détails sur l’intérieur du concept-car Instinct si vous le voulez bien, puisque l’extérieur comme vous le disiez « n’est pas le message principal ». Qu’apporte-t-il ? Que faut-il constater ?

G.V. : Sur Instinct, nous avons voulu pousser la réflexion bien plus loin que la simple question de la connectivité. Evidemment, Instinct propose la conduite autonome et une interface homme-machine évoluée, le tout dans un volume serré compte-tenu des proportions du concept-car. Mais l’introduction de la conduite autonome notamment nous oblige à penser plus loin. Il a aussi fallu « designer » la liberté que nous voulions dans cette voiture.

Cette liberté passe notamment par le temps potentiel libéré par la conduite autonome, puisque le conducteur n’a plus à tenir le volant. C’est en quelque-sorte le grand retour à bord de la « vraie vie », et qui fait que beaucoup de choses physiques pourraient dorénavant venir dans la voiture, comme nous avons voulu l’illustrer en mettant des romans dans les contre-portes. Nous pensons qu’à l’avenir, l’être humain voudra chercher un contrepoids entre l’hyper-digitalisation et le « physique ».

En définitive, nous avons voulu insérer dans Instinct de la connectivité « utile ».

LNA : Finalement, si la conduite autonome peut présenter de sérieux avantages comme du temps libéré ou plus de sécurité, n’avez-vous pas peur que les sensations liées à la conduite en pâtissent et que le plaisir de conduite, tant avancé par Peugeot justement, en prenne un coup ?

G.V. : C’est quelque-chose que nous tâcherons d’éviter. Il faut se dire que la conduite autonome peut aussi donner naissance à de nouvelles sensations. Par exemple, la sélection d’un mode de conduite aura beaucoup plus de sens qu’aujourd’hui.

LNA : Très bien. A présent, je voudrais recentrer notre entretien sur la marque Peugeot. Quels seraient selon vous les trois termes qui définiraient le mieux le design Peugeot aujourd’hui ? Et dans le futur ?

G.V. : Il y a encore quelques années, je vous aurais parlé des valeurs de la marque Peugeot, telles la simplicité et l’élégance. Aujourd’hui, nous nous basons toujours sur ces valeurs mais elles sont de plus en plus obsolètes : en tant que designers, nous devons être des designers industriels et pas simplement des « stylistes de bagnoles ». D’ailleurs, cela m’agace un peu quand on me parle de « style Peugeot » !

Notre rôle est de faire du design pour améliorer la vie des gens. Bien-sûr, il faut que les choses que nous fassions, dessinons, soient belles, mais aussi utiles. Ainsi, s’il fallait retenir trois mots, pour aujourd’hui comme pour le futur, je parlerais « d’ergonomie utile », de « design d’expérience » et d’esthétique, qui reste importante certes, mais n’est qu’un élément.

LNA : Le groupe PSA, c’est trois marques, enfin, quatre maintenant avec Opel. Comment, au milieu de cet ensemble, arrivez-vous à différencier le design Peugeot des autres ?

G.V. : Le fait que Peugeot soit une marque dans un groupe est bien plus un avantage qu’un défaut car chez PSA, nous avons ainsi la possibilité de « stratégiser le style », nous pouvons nous coordonner et nous rencontrer. C’est un confort extraordinaire !

LNA : PSA et Opel ont déjà collaboré sur des projets récents ou à venir. Je pense notamment aux synergies Peugeot 3008 – Opel Grandland X. D’autres collaborations sont-elles à envisager ?

G.V. : Tout cela reste très frais, c’est impossible à déterminer précisément pour l’instant, mais j’imagine en effet que d’autres collaborations auront lieu à l’avenir. C’est tout l’intérêt de cette synergie, qui devrait permettre des choses très intéressantes mais là encore, c’est trop tôt pour en affirmer davantage.

LNA : J’aimerais terminer cet entretien sur une question plus personnelle : vous êtes arrivé à la tête du design Peugeot en 2010. Comment instaure-t-on une nouvelle identité de marque, et comment on y réfléchit, surtout après de nombreuses années au cours desquelles le design Peugeot a été chapeauté par un seul et même homme, Gérard Welter ?

G.V. : Je dirais qu’il faut se mettre dans la peau d’un design d’agence, tacher de comprendre l’histoire de la marque, pourquoi elle en est arrivé à ce qu’elle est aujourd’hui et quels seront ses enjeux futurs. Il s’agit de garder à tout prix l’ADN de la marque.

Cela impose un détachement émotionnel et analytique. Dans ce cadre, les concept-cars sont justement de merveilleux outils puisqu’ils permettent de s’exprimer de but en blanc, à l’inverse des projets de série qui sont des processus longs.

LNA : Merci beaucoup, Gilles Vidal.

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